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sérieuses pour le parti libéral, qui est le premier à sentir le besoin de retrouver sa discipline pour se relever de la défaite qu’il a essuyée l’an dernier. Ne fût-elle qu’une crise très momentanée dans le parti libéral, la retraite de M. Gladstone fait les affaires du parti conservateur et de M. Disraeli, qui n’est point homme à perdre ses avantages. Les conservateurs ont le vent pour eux aujourd’hui ; ils gouvernent l’Angleterre, et les élections partielles leur restent encore favorables. M. Disraeli peut donc aborder la session avec une confiance qui ne lui manque guère.

Les bourrasques d’opinion sont bien autrement violentes aux États-Unis, et, s’il ne s’agissait pas d’un pays où tout a un certain caractère d’exubérance, on pourrait voir dans la situation de la grande république américaine une véritable crise où ne manquent ni les scènes sanglantes, ni les interventions de la force, ni les symptômes menaçans. Le fait est que le parti républicain se sent maintenant ébranlé. Il a été vaincu dans les élections qui ont eu lieu il y a quelques mois, et le congrès qui s’ouvrira le 4 mars prochain comptera une majorité démocrate de 70 ou 80 voix. Le sénat lui-même se ressentira un peu plus tard de ce revirement d’opinion, qui a changé la majorité dans beaucoup de législatures locales. C’est à coup sûr un événement des plus graves. C’est la réapparition légale des influences du sud dans la politique. C’est la victoire du parti vaincu, et cette victoire est en partie sans nul doute une réaction contre la politique de compression implacable systématiquement suivie par les républicains du gouvernement et du congrès à l’égard des anciens états à esclaves. Ces malheureux états ont pu être domptés par la force, ils ne sont pas apaisés, ou du moins ils ont été soumis après la guerre à un autre genre d’épreuves. Ils sont devenus le théâtre de la plus dangereuse, de la plus terrible lutte de races, lutte où tous les aventuriers, tous les oiseaux de proie des États-Unis, sous prétexte de venir en aide aux noirs affranchis, ont été les impitoyables dominateurs des blancs. Le gouvernement fédéral lui-même a pris souvent et prend encore parti dans ces conflits, toujours contre les blancs. De là cette réaction qui s’est lentement amassée, et qui a fini par aboutir à une victoire des blancs. Le parti républicain sent le péril, et il se défend encore à outrance, en se faisant quelquefois l’auxiliaire, le complice des plus étranges violences.

C’est surtout dans la Louisiane que la lutte a le caractère le plus grave. Là les deux camps sont tranchés, et on est toujours sur le point d’en venir aux mains. Il y a deux ans déjà, des élections, où tous les moyens de captation avaient été employés par les uns et par les autres, donnaient aux élus des deux partis un nombre à peu près égal de voix. Il y avait en présence deux législatures, deux gouverneurs, M. Kellog et M. Mac-Ennery, qui revendiquaient le pouvoir. Qui était le plus légitime ? Il aurait été difficile de le dire. M. Kellog, le gouverneur républicain, ne finissait par rester maître du terrain que parce que le