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prodigieuses. Il serait curieux qu’il fût moins impossible de préparer l’ouverture d’un chemin dans la profondeur des mers que de faire réussir de modestes lois constitutionnelles. Que l’œuvre se réalise, que le génie du travail triomphe des obstacles qu’il rencontrera sous la Manche, comme il a vaincu toutes les difficultés au Mont-Cenis, à l’isthme de Suez, les relations, le commerce, l’industrie des deux nations, y gagneront sans nul doute. La France, qui s’agite à Versailles, ne semble guère pour le moment avoir l’esprit aux tunnels sous-marins. L’Angleterre a du moins l’avantage de contempler, d’encourager ces puissantes et fécondes entreprises du sein d’une vie politique qui n’en est plus à chercher son organisation, sa fixité et ses règles.

Là le régime parlementaire est une sérieuse réalité. Il peut avoir ses éclipses ou ses crises ; il retrouve toujours son caractère et sa force, il garde ses mœurs, ses traditions, ses usages, qui deviennent des lois. Les partis ont beau se fractionner parfois, ils sont encore organisés, ils restent pour ainsi dire les ressorts vivans de cette grande machine constitutionnelle. Rien ne peint mieux la vie politique anglaise que ce qui se passe aujourd’hui. C’est à coup sûr de toute façon un événement que cette sorte d’abdication de M. Gladstone renonçant spontanément à la direction du parti libéral. L’ancien premier ministre ne quitte pas le parlement, il garde sa place à la chambre des communes ; mais il abandonne volontairement son rôle de leader des libéraux, et en cessant d’être le chef reconnu de son parti il renonce évidemment au pouvoir pour l’avenir. Déjà dans la session dernière il n’avait paru à la chambre des communes que très irrégulièrement, il laissait flotter la direction de son parti, qui en souffrait sans avoir la pensée de chercher un autre chef. Aujourd’hui M. Gladstone a pris sa résolution en homme qui semble faire son testament politique et vouloir se réserver la disposition des dernières années de sa vie. Ce n’est pas que M. Gladstone soit d’un âge avancé ; il a soixante-cinq ans à peine, il garde toute la force de ses facultés et de son éloquence. Comment donc s’explique cette retraite prématurée ? M. Gladstone a-t-il été tout à coup repris d’une vieille passion pour les études religieuses ? On le dirait, à voir un de ses récens écrits contre l’invasion du papisme. A-t-il ressenti de la lassitude à la suite de l’échec que lui ont infligé les élections dernières ? Ce n’est point impossible. M. Gladstone a vu l’opinion lui manquer, il ne s’attendait peut-être pas à ce désaveu du pays qui lui a fait sentir que, s’il avait accompli de grandes réformes intérieures, il n’avait été qu’un médiocre représentant de la vieille politique anglaise dans le monde. Toujours est-il qu’il a pris sa retraite. Reste maintenant pour le parti libéral le choix d’un nouveau chef, et ce n’est pas une affaire de petite importance en Angleterre. Déjà des réunions ont eu lieu, divers noms ont été prononcés. Qui sera le nouveau leader ? Sera-ce lord Hartington, M. Goschen, M. Forster ? De toute façon, c’est une épreuve des plus