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chaque jour la majeure partie de ces 30,000 petits vagabonds qui étaient hier encore une des plaies et quelquefois une des terreurs de la « cité impériale. »


I. — LES DEBUTS.

Ce n’est pas du premier jet que la Société protectrice des enfans des rues a trouvé la meilleure méthode à suivre. Un de ses membres les plus actifs depuis l’origine, M. L. Brace, a décrit avec une naïveté touchante les tâtonnemens, les essais successifs par lesquels on a dû passer[1]. Il avait été de bonne heure ému du mal que les classes dangereuses font subir à une grande ville comme New-York, et cherchait les moyens de l’atténuer, sinon de le guérir entièrement. Il vit bien vite que, pour frapper le mal dans sa racine, il fallait atteindre les enfans de la rue. La première idée qui vint fut de les réunir, de les convier à des assemblées dominicales. Ces sunday’s meetings sont une des rares distractions que l’on rencontre à New-York le dimanche. Dans une salle louée ou prêtée par quelque âme charitable, on convoque ceux que l’on veut entretenir. Les prédicateurs de carrefours, les street preachers, y mettent moins de façon et s’établissent simplement au coin d’une borne. Ce sont généralement des lectures de la Bible, l’analyse d’un sujet religieux, qui forment la matière de ces entretiens familiers. Un révérend, un citoyen zélé occupe la tribune, et là, pendant une heure ou deux, lit, récite ou donne libre cours à l’improvisation. Ces sortes de conférences sont habituelles aux Anglais et aux Américains. En s’adressant uniquement et librement à l’enfance viciée, on entreprenait une chose neuve, et l’on n’avait pas compté sur l’esprit naturellement soupçonneux, éveillé, de ces jeunes vagabonds. Plus d’un parmi eux avait eu déjà maille à partir avec les tribunaux, et se demandait si la police n’allait pas jeter ses filets au milieu d’une réunion convoquée sous un faux prétexte. Néanmoins quelques enfans vinrent d’eux-mêmes, poussés par une irrésistible curiosité. On en ramassa au hasard quelques autres dans les quartiers environnans, on sollicita les parens de les envoyer.

A New-York, non moins qu’à Paris, l’enfant des rues, ce sceptique précoce, est porté à la moquerie, tourne tout en ridicule ; il a des mots foudroyans pour les choses les plus respectables. L’orateur en chaire délayait à perte de vue son sujet et faisait des frais d’éloquence. Gas ! gas ! crièrent les jeunes auditeurs, qui ont l’habitude

  1. The dangerous classes of New-York, and twenty years work among them, by Charles Loring Brace, New-York 1872.