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concouraient à l’organisation des tribunaux égyptiens. Nos nationaux, se présentant comme demandeurs devant les consulats étrangers, se seraient heurtés contre une déclaration d’incompétence, et ils eussent été renvoyés à se pourvoir devant la juridiction mixte. Nous ne pouvions absolument pas demeurer dans l’isolement judiciaire : les Français établis en Égypte auraient été privés des moyens de faire juger leurs procès ; leurs transactions de toute nature auraient été compromises, personne n’aurait voulu contracter avec eux, ni le gouvernement, ni les indigènes, ni les étrangers, s’ils n’avaient consenti au préalable à soumettre les litiges aux nouveaux tribunaux. C’est ce qu’avait compris la majorité des Français établis en Égypte. Dès 1873 et en 1874, le consulat général d’Alexandrie et le ministère des affaires étrangères ont reçu de nombreuses pétitions, par lesquelles nos résidens sollicitaient l’adoption et l’application immédiates de la réforme. Parmi les plus empressés à demander l’organisation du nouveau régime judiciaire, on remarque le directeur de la compagnie du canal de Suez, M. de Lesseps, qui représente au plus haut degré la colonie française en Égypte, qui connaît bien le pays et que l’on calomnierait, si l’on supposait un seul instant qu’il a pu subordonner aux intérêts particuliers de son entreprise l’intérêt de sa patrie en Orient. A ses instances se joignent celles des organes les plus autorisés du commerce français, et l’opinion désintéressée, réfléchie, de notre consul-général à Alexandrie.

Il appartient à l’assemblée nationale de juger la question en dernier ressort. Au point où en sont les choses, sa décision ne saurait faire doute. Il n’est point possible que la France se tienne en dehors de l’opinion européenne, ni qu’elle s’oppose à un essai de réforme qui mérite à tous égards d’être tenté et encouragé. Elle y perdrait, dans son isolement, l’influence considérable qu’elle s’est acquise en Égypte, et le prestige qu’il lui importe de conserver dans les contrées de l’Orient. Elle doit au contraire aider de tout son pouvoir au succès de cette réforme, qui est une œuvre de progrès. S’il y a quelques risques à courir, et nous ne les avons pas dissimulés, la vigilance des consuls saura y pourvoir, et ils ne seraient point d’ailleurs de longue durée, puisque le traité n’est conclu que pour cinq ans. Si l’expérience réussit, quel avantage non-seulement pour l’Égypte, mais encore pour l’Europe, et surtout pour la France, que tant de liens politiques, commerciaux, financiers, unissent à l’Égypte ! Dans ces conditions, l’hésitation serait une faute que l’assemblée nationale ne voudra pas commettre.


C. LAVOLLEE.