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pas 3,000[1]. Il ne s’ensuit pas que la civilisation chrétienne ait déjà conquis l’Égypte, la foi musulmane règne encore dans ce pays ; mais il est permis de dire que nulle part ailleurs en Orient le champ n’est ouvert plus libéralement à l’action européenne ; nulle part l’étranger, le colon n’est mieux accueilli. Il s’est créé dans plusieurs villes des entreprises considérables ; il s’y est fait de grandes fortunes. En un mot, l’Égypte est aujourd’hui plus européenne que turque, et le développement de sa prospérité profite à toutes les nations.

Le khédive est le premier intéressé à ce que les progrès inaugurés par ses prédécesseurs et continués sous son règne ne soient pas mis en péril. Plus on le dit puissant et absolu, plus il aura de force pour surmonter les obstacles que l’on redoute, pour réformer son administration et pour établir solidement la constitution judiciaire que l’on regarde avec raison comme la clé de voûte du nouveau système. Le choix des magistrats indigènes lui appartient. Est-on autorisé à supposer que parmi ses fonctionnaires, dont quelques-uns, élevés dans les capitales d’Europe, sont très familiarisés avec nos mœurs, nos coutumes et nos intérêts, il ne trouvera point à nommer les magistrats, au nombre de dix seulement, qui devront siéger à la cour d’appel et dans les trois tribunaux, à côté et sous la présidence des juges désignés par les gouvernemens étrangers ? — Le khédive, ajoute-t-on, est mêlé à toutes les affaires, et il voudra gagner tous les procès. S’il en était ainsi, l’on peut affirmer qu’il ferait un maladroit calcul, car, pour la satisfaction d’obtenir gain de cause dans des litiges d’un ordre secondaire, il s’exposerait à perdre le grand procès qu’il plaide depuis huit ans devant l’Europe, afin de mériter, pour le bien de son pays et pour l’honneur de son gouvernement, la participation de l’Égypte aux devoirs comme aux avantages des peuples civilisés. Pourquoi ne pas espérer au contraire qu’il aimera mieux s’incliner devant une décision de la justice que de céder, comme il a dû le faire souvent, aux sollicitations ou aux exigences des consuls, et qu’il voudra donner à ses sujets l’exemple du respect pour les tribunaux qu’il aura lui-même institués ? Enfin cette intervention, désormais nécessaire, de la justice dans les intérêts privés du souverain aura peut-être pour conséquence de convaincre le khédive que sa place n’est pas au banc des plaideurs, qu’il ne lui convient pas plus de gagner que de perdre tant de procès, et qu’il doit peu à peu se retirer des affaires. Quand il s’agissait de tout commencer dans un pays où il

  1. Le Bureau central de statistique, placé sous la direction de Regny-Bey, a publié en 1873, pour l’exposition universelle de Vienne, un volume qui contient les renseignemens les plus complets sur la condition morale et matérielle de l’Égypte.