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aux formalités de la procédure. Les opposans répondaient que les garanties seraient illusoires, que les magistrats recrutés à l’étranger qui consentiraient à venir siéger à côté des juges égyptiens ne seraient probablement pas des meilleurs, et qu’ils pourraient bien se gâter au contact dans un pays où les scrupules sont faibles et les tentations si grandes.

Ces objections, qu’il est nécessaire de reproduire dans leur crudité, n’avaient pas échappé à la prudence des cabinets. Tout en faisant la part d’une exagération manifeste, les négociateurs européens et Nubar-Pacha lui-même avaient compris les risques de cette réforme ainsi que la responsabilité qu’ils encouraient aux yeux de la colonie étrangère. Aurait-on discuté si longtemps, avec une opiniâtreté si tenace, se serait-on borné à une mesure temporaire et provisoire, si l’on n’avait pas eu égard aux difficultés extrêmes du problème ? Et d’un autre côté les cabinets européens se seraient-ils unanimement concertés, s’ils n’avaient pensé qu’un intérêt supérieur recommandait cet essai de réforme, et que, parmi les pays du Levant, l’Égypte offrait le terrain le plus favorable pour l’expérience que l’on se décide à tenter ?

L’Égypte a, dans les temps anciens, atteint le plus haut degré de prospérité, grâce à la fécondité de son sol et à l’industrie des colons étrangers, qui étaient venus s’y établir. Cette prospérité, disparue sous la domination turque, peut renaître aujourd’hui à l’aide des mêmes élémens. Chaque année voit s’accroître le chiffre des résidens étrangers. Depuis Méhémet-Ali, les pachas se sont fait une règle d’encourager l’immigration européenne et d’associer leurs intérêts à ceux de l’Occident. Le patronage accordé à la compagnie du canal de Suez peut être considéré comme la manifestation la plus éclatante de cette politique qui a fait de l’Égypte la grande route de l’Inde et le marché le plus actif entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Les progrès accomplis sous le gouvernement du khédive Ismaïl ont été des plus rapides. De 63 millions de francs en 1863, l’exportation des produits du sol, céréales, coton, sucre, etc, s’est élevée à plus de 300 millions ; l’importation atteint près de 170 millions. On compte en Égypte 2,000 kilomètres de chemin de fer et 6,500 kilomètres de lignes télégraphiques. Les travaux publics ont reçu une vigoureuse impulsion ; les travaux du port d’Alexandrie, qui sont en cours d’exécution, doivent coûter 50 millions, et ceux du port de Suez, confiés à une entreprise française, plus de 30 millions. Le khédive n’a pas eu moins de souci du progrès intellectuel. Le budget de l’instruction publique, successivement augmenté, dépasse 2 millions de francs, et l’enseignement primaire est donné à près de 100,000 enfans, alors que, sous Méhémet-Ali, ce chiffre n’excédait