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autant de consulats ; de là d’inévitables contrariétés de décisions qui n’étaient point faites pour assurer la sécurité des transactions ni le respect de la justice. Ce n’est pas tout : si les cadis, à qui l’on devait s’adresser lorsque le défendeur était un indigène, inspiraient peu de confiance, on pouvait n’être pas mieux servi par certains tribunaux consulaires. Sur les dix-sept consulats, plusieurs étaient absolument incapables de rendre la justice, n’ayant point le personnel nécessaire ; quelques-uns étaient l’objet de reproches plus graves ; tous enfin, même ceux qui possédaient la meilleure organisation, échappaient difficilement au soupçon de partialité. On citait des consulats où il était pour ainsi dire de règle que leurs nationaux ne pouvaient jamais perdre un procès.

La diversité des juridictions était en outre fort nuisible pour les intérêts immobiliers. A l’époque des capitulations, les Francs ne pouvaient point posséder d’immeubles sur le territoire turc ; depuis quelques années, et c’est un grand progrès, cette interdiction a été levée. Or conçoit-on qu’il y ait dans un même pays plusieurs législations différentes en matière de propriété ? Tel était cependant le cas. Le consul de Russie jugeait selon la loi russe un procès hypothécaire, le consul de France selon la loi française, etc. Avec ce système, il était absolument impossible d’établir en Égypte un régime d’hypothèque pour donner à la propriété toute sa valeur en lui procurant les ressources du crédit.

Quant aux contestations avec le gouvernement ou avec le domaine personnel du khédive, les Européens refusaient, et pour cause, de les porter devant les tribunaux égyptiens. Ils préféraient s’adresser à leurs consuls, qui, à défaut de compétence judiciaire, présentaient les réclamations par la voie diplomatique. Il en résultait que les consulats étaient encombrés de demandes et exposés à soutenir des prétentions exagérées, trop souvent des intérêts peu respectables. Pour ces sortes d’affaires, il n’y avait pas de justice ; il n’y avait que des influences, s’exerçant parfois au détriment de l’équité, et il était vraiment regrettable de voir intervenir si fréquemment l’action des consuls pour le règlement de litiges d’un caractère tout à fait privé, qui ne méritaient à aucun degré d’occuper la diplomatie.

Tels étaient les abus auxquels la commission du Caire, sur les instances de Nubar-Pacha, reconnaissait qu’il convenait de porter remède. On aurait pu sans doute les atténuer en constituant un tribunal international, qui eût remplacé les dix-sept juridictions consulaires pour les procès engagés entre les Européens de nationalités différentes. Cette combinaison se présentait la première à l’esprit ; mais elle n’aurait supprimé qu’une partie du mal. Le