Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques enquêtes qui ont fait du bruit ont récemment mis en lumière des faits encore plus graves. L’affaire du Crédit mobilier, entée sur l’entreprise du chemin de fer du Pacifique ou du moins de la compagnie de l’Union Pacific Railroad, a révélé des marchés honteux. On sait aussi ce que le général Fremont, qui fut candidat à la présidence en 1856 contre Buchanan et faillit un moment l’emporter sur lui, est venu nous offrir à Paris avec sa compagnie du Transcontinental Memphis Pacific. Nos tribunaux correctionnels ont dû faire justice de cet explorateur et de cet homme d’état américain jusqu’alors assez estimé dans son pays et même en Europe, mais tout à coup transformé sur la place de Paris en un industriel dangereux. Voici maintenant qu’il s’agit au congrès d’une autre affaire véreuse, celle de la Pacific Mail Company, concessionnaire depuis des années du chemin de fer de Panama et de la malle maritime de San-Francisco. Une enquête a été ouverte à ce sujet, et un lobbyist bien connu, un de ces politiciens éhontés qui se promènent dans les couloirs (lobby) du Capitole pour proposer aux représentans et aux sénateurs toute sorte de marchés compromettans, a déclaré qu’il avait reçu de la compagnie Pacific Mail et distribué à diverses personnes une somme de 750,000 dollars ou 3,750,000 francs. Pourquoi cet énorme pot-de-vin ? Pour assurer la subvention annuelle de 500,000 dollars et autres avantages consignés au cahier des charges que la compagnie attendait et qu’elle avait obtenue du congrès l’année dernière.

Faut-il continuer à citer des exemples ? La douane de New-York est corrompue de la tête aux extrémités. « Faites-moi un petit cadeau, et tout ira bien, » vous dit l’agent du fisc en vous saluant. Vous montrez une pièce d’or, et il laisse passer vos malles librement ; mais malheur à vous si vous ne lui donnez rien : il met un quart d’heure à bouleverser vos bagages et en jette te contenu sur le parquet. Si vous avez de la contrebande, vous pouvez faire marché avec lui. N’hésitez pas, allez au-devant des explications ; il ne déclouera pas même vos caisses, il n’ouvrira pas même vos colis. Vous introduisez des soieries, des cigares, des diamans, c’est chose entendue ; ni les chefs, ni les commis ne diront rien, si vous payez convenablement : ils partagent ensuite. Cela se passe ainsi à l’arrivée de chaque steamer européen, au grand jour, nul ne s’en cache, on en parle tout haut, et le commissaire du bord a toujours soin de tenir prêtes, pour la douane qui arrive, bouteilles de Champagne et de cognac que ces messieurs se versent à pleins verres.

Il y a quelques années, ce fut un bien autre scandale à propos de la perception des droits sur l’alcool : les fraudes montèrent pour un seul exercice à plus de 400 millions de francs. Le gallon de wisky se vendait ouvertement partout moins cher que ce qu’il aurait dû.