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jeuni. La Melpomène, une muse celle-là, encore qu’elle soit plongée dans une mélancolie un peu romantique, est admirable. Sa belle tête antique, coiffée du masque tragique, émerge d’un flot de draperies rouges et vertes, accord de tons violens d’une intensité inouïe. La Clio dépasse encore Melpomène par la beauté et le caractère dans sa pose à la Raphaël. Vêtue de pourpre et de vert clair, elle tient dans sa main la trompette héroïque et regarde les tablettes de marbre blanc où sont consignés les grands faits de l’histoire. Nous en avons fini avec les muses antiques, voici les muses modernes. Érato, une jeune fille, presque une petite fille, à formes de femme, cache un billet dans son sein. Son geste est charmant et naturel ; sa jolie tête espiègle, — un Greuze, mais un Greuze contemporain, — sourit innocemment. Le rose aux clairs presque blancs de la robe ménage, dans une tonalité très fine, le passage du violet du corsage au vert pâle de la jupe de dessous. Une sphère armillaire à ses pieds, Uranie, dans sa stola lilas, ceinte d’une écharpe bleue constellée d’or, lève les yeux au ciel ; Euterpe s’appuie sur sa double flûte ; Calliope, l’air irrité, tient son style dans une main et froisse un papyrus de l’autre main. La Thalie est surtout remarquable par l’effet hardi de sa draperie jaune vif qui ressort en clair sur l’or du fond. Déchevelée et la tunique dégrafée, Terpsichore ploie la jambe droite et l’appuie sur la gauche pour rattacher sa crépide. Cette figure, largement dessinée, se détache en relief par un modelé puissant qui accuse le mouvement et la vie. La robe, d’un blanc très rompu et laissée en partie dans la demi-teinte, est traitée avec une science merveilleuse du clair-obscur. La tête, qui s’avance en pleine lumière, respire la jeunesse, la grâce, la bonté. Dans vingt ans, on dira que la Terpsichore est un chef-d’œuvre.

On s’est montré pour ces figures sévère jusqu’à l’injustice. Une fois admis le parti-pris, d’ailleurs discutable, de M. Baudry, qui n’a point voulu peindre des muses antiques, il n’y avait plus qu’à louer ces belles silhouettes, ce dessin large, ces lignes souples, ce ferme modelé et cette merveilleuse couleur. M. Paul Baudry, qui pour ses voussures avait mis comme une sourdine à son pinceau, s’est abandonné, dans ces figures peintes sur fond d’or et en pleine lumière, à toutes les fantaisies, à toutes les aspirations de son tempérament de coloriste. Baudry est un coloriste non-seulement par l’instinct de la couleur, qui ne s’acquiert pas, mais par cette science des couleurs qui se déduit presque mathématiquement. Dans ces huit figures, les couleurs-mères, savamment juxtaposées à côté de leurs complémentaires, prennent une mutuelle vigueur ; les nuances composées parcourent leur gamme infinie dans leurs accords et dans leurs contrastes ; toutes les dégradations des rouges et des verts, des violets