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ces dernières années des hommes célèbres où se révèlent parfois des faiblesses sur lesquelles l’éclat de la jeunesse avait jeté jusque-là un voile doré. Il nous a montré tantôt Benjamin Constant « mangeant sa soupe aux herbes et allant au tripot, » tantôt Bossuet ne pouvant se résigner à quitter Versailles et y traînant presque jusqu’à sa dernière heure le spectacle de ses infirmités. Voyons un peu à notre tour quelle a été la vieillesse de Sainte-Beuve.

Sainte-Beuve avait quarante-huit ans à la date du 2 décembre. Il entrait à cette époque dans ce qu’on peut appeler l’automne de la vie ; mais cette avant-dernière étape ne devait point avoir pour lui la sérénité de ce qu’il a quelque part appelé « les jours tièdes et doux d’une automne prolongée, jours immobiles, sans ardeur et sans brise ; » elle rappellerait plutôt au contraire ces jours humides où le temps est bas, le ciel brumeux, l’horizon court, et où un vent aigre soulève en tourbillon les feuilles flétries. L’article des Regrets avait brusquement rompu les relations de Sainte-Beuve avec toute la société politique dans la familiarité de laquelle il avait vécu sous le gouvernement de juillet. Les passions étaient vives à cette époque, et des relations plus étroites avec des amis plus anciens avaient été rompues pour de moins graves sujets. Sainte-Beuve avait donc passé dans un certain isolement les premiers temps du régime impérial. Il avait eu le malheur de perdre sa mère en 1850, et cette perte le laissait provisoirement seul dans sa petite maison de la rue Montparnasse. Il en sortait peu, absorbé par le labeur écrasant qu’il avait assumé, et il commença d’y mener, à partir de cette date, cette vie d’ermite littéraire dont l’activité intellectuelle et le travail incessant ont été l’honneur de ses dernières années. Il y recevait peu de visites. Ses anciens amis politiques, et littéraires nourrissaient contre lui de vives rancunes, et ceux qu’il aurait dû acquérir en échange, les hommes du nouveau régime, les Saint-Arnaud, les Baroche, les Billault (pour ne parler que des morts), ne tenaient peut-être pas en très haute estime le concours qui leur était offert ; cependant, comme il l’avait prédit autrefois lui-même à Lamennais, il se prend toujours des âmes nouvelles au génie, et l’éclat croissant de sa renommée de critique, les avances qu’il ne cessait de faire à tout ce qui conquérait un nom nouveau dans les lettres, à tout ce qui donnait signe de vie et de mouvement, ne devaient pas être perdus. Peu à peu il devint le centre d’un petit monde philosophique et littéraire qui prit l’habitude de se grouper autour de lui, et dont les réunions périodiques avaient fini, dans les dernières années de l’empire, par devenir pour quelques censeurs ombrageux un sujet de scandale. Nous touchons ici à l’histoire contemporaine, et l’on comprendra que je sois