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qui faillit avoir un éclat fâcheux. Des amis obligeans vinrent un jour l’avertir qu’il était porté sur la liste des fonds secrets de l’ancien gouvernement pour une somme considérable dont le chiffre serait bientôt publié par la Revue rétrospective, — cette triste publication dont on a vu de nos jours se renouveler le scandale avec l’aggravation du patronage officiel. Sainte-Beuve se défendit avec indignation. « On m’attaque là, disait-il avec vérité, par mon côté fort. » Vérification faite non sans peine, il fut démontré d’abord qu’il ne s’agissait que d’une somme de 100 francs, ensuite que cette somme avait probablement pour origine une réparation faite à la cheminée de Sainte-Beuve dans l’appartement qu’il occupait à l’Institut, et qui, n’ayant pas été faite régulièrement, n’avait pu figurer dans les comptes du budget ; mais ce qui avait blessé profondément Sainte-Beuve, ce n’était pas l’imputation elle-même, par laquelle il ne se sentait pas atteint, c’était le crédit que cette imputation avait paru rencontrer chez certains esprits. Des hommes d’un caractère élevé comme M. Jean Reynaud, comme M. Charton, employés tous deux au ministère de l’instruction publique, l’avaient, dès le premier jour, réduite à sa valeur ; toutefois dans un parti où la défiance est une vertu il devait se trouver des esprits plus enclins au soupçon, et ces soupçons se manifestèrent assez ouvertement pour que Sainte-Beuve crût devoir donner sa démission de conservateur à la bibliothèque Mazarine, ne voulant pas, a-t-il écrit plus tard, s’exposer de nouveau à de pareils interrogatoires. Ainsi, par le fait des événemens de février, il se voyait à la fois brusquement jeté hors d’un milieu social qui lui plaisait, troublé dans le calme d’une vie qu’il jugeait indispensable au libre jeu de ses facultés, et en fin de compte obligé de se démettre d’une place dont les émolumens lui assuraient une existence indépendante de ses travaux littéraires. On conçoit que tous ces désagrémens réunis lui aient, laissé quelque amertume contre les révolutions en général, et qu’il ait en particulier déploré l’immaturité de celle de février.

Il était dans une situation que l’honorable médiocrité de sa fortune rendait assez précaire, lorsqu’il prêta l’oreille à des propositions qui lui vinrent de l’étranger. Pour la deuxième fois il se déroba par un exil volontaire à des agitations d’une nature, il est vrai, bien différente, et il accepta de professer à l’université de Liège un cours de littérature française. Ce fut au mois d’octobre 1848 qu’il s’expatria, non sans être en butte dans la presse à d’assez vives attaques pour son départ. Sainte-Beuve n’a jamais bien compris la nature du grief que conçurent contre lui les gens de cœur. Il ne vit dans leurs reproches que des tracasseries qui l’aigrirent, et c’est à partir de ce moment que tout ce qu’il avait amassé dans son cœur depuis