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romane ; le linteau et le tympan portent sur des colonnettes en spirale : c’est le seul reste de l’église des croisés. — A la sortie de la ville ainsi qu’à l’entrée, une foule lamentable et hideuse nous demande l’aumône en nous tendant des mains déformées : ce sont les lépreux. L’horrible maladie biblique s’est perpétuée à Naplouse, à Jérusalem, dans deux ou trois villes de Palestine. Comme dans l’ancienne loi, ces pauvres réprouvés errent à la porte des cités, parqués dans des huttes maudites et vivant de charités. Un d’entre eux, un vieillard blanchi et tout rongé par la terrible contagion, tient sur ses genoux une adorable petite fille de six à huit ans. On sait que la lèpre épargne l’enfant et ne se déclare chez lui qu’à son adolescence. C’est un tableau triste à pleurer quand on pense à ce que sera dans dix ans cette ravissante créature. Je remets à l’enfant une piécette d’argent ; ses grands yeux, que voilera bientôt une taie sanglante, brillent de plaisir ; elle court toute joyeuse au vieil aveugle et frappe dans ses mains en lui criant : Bakchich ! bakchich ! Et de sauter, et de sourire, ignorante et insouciante de l’affreux avenir qui pèse sur elle. Le vieillard, lui aussi, en reprenant sa fille dans ses bras étiques, retrouve un triste sourire sur sa face convulsée, où deux ulcères remplacent les yeux absens.

Nous sortons de Naplouse en nous dirigeant vers le sud, après nous être arrêtés à une demi-lieue de la ville, dans le champ et au puits de Jacob. C’est sur cette margelle de pierre que Jésus s’est assis un jour, à cette heure de midi, las comme nous de la chaleur et de la route, pour enseigner à la Samaritaine comment les races nouvelles devaient adorer en esprit et en vérité.


Jérusalem, Mâr-Saba, 11 décembre.

Il faut deux petites journées de Naplouse pour gagner Jérusalem à travers les montagnes de Judée. Plus on approche, plus la solitude se fait funèbre et lamentable ; il semble qu’une puissance intelligente veuille par de pareils spectacles préparer l’âme au recueillement et à la tristesse. Enfin notre guide nous montre un dernier col de la chaîne. « El-Quods, El-Quods, » nous dit-il. C’est le nom arabe de Jérusalem. Il me prend un frisson d’impatience et d’émotion. Je lance mon cheval à toute bride dans les pierres trébuchantes en fouillant des éperons les flancs de la pauvre bête ; pantelante et épuisée, elle vient s’arrêter d’elle-même sur la crête.

Au-dessous de moi, dans un entonnoir formé par les montagnes, un plateau inégal, mais régulièrement incliné du sud-ouest au nord-est, descend des hauteurs qui courent vers Jaffa jusqu’au fond du ravin de Cédron et se redresse brusquement par une colline, qui est le mont des Oliviers ; il va mourir au sud, dans la gorge