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intentions cachées dans certains tours à première vue inexplicables, on se fait davantage l’écolier de l’usage au lieu de prétendre à le régenter. Je n’ai pas besoin d’ajouter combien les figures des Nibelungen, que les enfans voient à travers la peinture emphatique de Kaulbach, popularisée par la gravure, sont faites pour saisir et pour enlever les esprits.

A ceux qui ne peuvent aborder directement les textes viennent s’offrir d’habiles rajeunissemens, des traductions ou imitations en vers ou en prose. Ces publications à bon marché, faites souvent par de vrais savans et de vrais poètes, se trouvent dans les mains de toute la jeunesse, Ainsi ce passé, qui était tellement mort au XVIIIe siècle que les premières éditions des poèmes allemands furent pour le monde savant autant de révélations, est redevenu vivant et populaire. Parmi tout ce que j’ai vu en ce genre, c’est là ce qui me paraît le plus digne d’être imité. Nos chansons de gestes, nos romans d’aventures, devraient rentrer dans les mains de nos enfans : je les voudrais mis en prose, abrégés, la langue discrètement rajeunie, mais non privée de tout archaïsme, accompagnés des notes nécessaires et embellis par la gravure. Ce sera notre mythologie française : Roland, Huon de Bordeaux, prendront place à côté d’Hercule et de Persée. Il ne faut pas oublier que ces sortes de livres deviendraient aussi des lectures pour le peuple. Nos poèmes du moyen âge, remaniés et mis en prose, sont encore lus par les habitans des campagnes ; mais ils les possèdent en des textes grossiers et inintelligibles dont des papetiers se font les éditeurs. Il est temps qu’on entreprenne pour la littérature française du moyen âge le même travail que les Simrock et les Pfeiffer ont accompli pour les mêmes œuvres en Allemagne[1]. Quelques pas ont déjà été faits dans cette voie ; mais le luxe de la typographie a rendu ces publications d’un prix inabordable. Ce sera là une œuvre vraiment populaire et un moyen de rejoindre le présent au passé qui ne saurait donner ombrage à aucun parti.


II

Le souvenir poétisé des temps anciens ne fait pas oublier aux maîtres de la jeunesse que le présent réclame aussi sa part d’attention ; il tient dans l’enseignement allemand une place considérable, non pas seulement depuis les événemens de 1870, mais déjà à une époque où les regards ne s’arrêtaient pas sur les événemens contemporains avec la même complaisance. Dans un pays où l’école

  1. En 1869, la traduction des Nibelungen par Simrock était déjà à sa vingtième édition.