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levain, de farine d’orge. C’est le pain rudimentaire qu’on mange ici depuis les patriarches. Abraham recevant les anges disait à Sarah : « Fais cuire des galettes sous la cendre. » Chaque maison est coquettement blottie sous un olivier ou un caroubier planté à l’angle de la terrasse. Elle nous restera comme une des plus agréables surprises de nos voyages, l’apparition de cette ville gracieuse, que le poète du Cantique eût comparée à un chevreau gambadant sur toutes ses collines et dans tous ses ravins.

Nous venons de visiter le quartier juif, où notre curiosité a été éveillée au plus haut degré. Les fils d’Israël accourent se fixer ici en grand nombre pour y attendre le Messie, qui, d’après la tradition talmudique, naîtra à Tibériade et montera établir son trône à Saphed. Ils y sont couverts par la protection de l’Angleterre et dépendent directement du consul britannique à Jérusalem. — Rarement assemblage d’hommes m’a plus frappé. — Imaginez, des deux côtés d’une longue ruelle, des bouges fétides, hantés par mille menus commerces, dans chacun desquels se tient un vieillard digne de poser pour Rembrandt ou une sorcière du sabbat, sans compter les enfans aux longues boucles pendantes ; car ce sont là des Juifs du nord de l’Europe, venus un peu de toutes parts, mais surtout de Pologne, de Russie, de Valachie, et qui ont gardé l’étrange et sordide costume que chacun connaît : lévite noire, graisseuse et rapiécée, chapeau conique, casquette de mougik ou, coiffure bien paradoxale sous ce soleil de plomb, l’immense bonnet de fourrure aux ailes débordant la tête. Quelques vieillards à longue barbe blanche ont encore une certaine majesté ; d’autres offrent les types les plus appropriés que puisse rêver un pinceau réaliste pour personnifier l’usure et la rapacité : le nez crochu, les deux boucles en tire-bouchons battant sur les tempes, le signe distinctif de la secte caraïte, les yeux rouges éraillés et clignotans, usés par les maladies mosaïques. Sur ces traits communs à tous, la vulgarité des basses classes européennes où ils ont vécu se marie à une expression de terreur constante, trop justifiée par la répulsion dont ils sont l’objet dans tout l’Orient. Rien ne peut rendre cet extérieur de malpropreté résignée et repoussante qui semble vouloir fléchir le mépris. Tacite les voyait déjà ainsi quand il s’étonnait de leurs « mœurs sordides, » Judœorum mos sordidus.

Presque tous parlent l’allemand. Ils répondent, avec la défiance inhérente à cette race persécutée, aux questions que nous leur faisons dans cette langue. Ils sont là, nous disent-ils, des Juifs de toutes les parties du monde, établis depuis dix, douze, quinze ans sur la terre de leurs pères, pour y mourir en paix. — Le lieu le plus curieux de ce curieux quartier est la synagogue. Je colle mon