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de Nazareth avec la croix sur les épaules et la couronne d’épines au front, à un ecce homo insulté, flagellé, tenant un roseau pour sceptre, les mains chargées de liens, à un Christ crucifié, sanglant et moribond, jamais Pepita n’eût osé demander ce qu’elle demande alors à l’enfant Jésus tout frais, tout rose et souriant. Pepita le prie de ne pas se réserver, don Luis, de le lui céder ; si riche et si puissant, qu’a-t-il besoin de ce serviteur ? Elle au contraire ne vit que pour son amour. » En fin de compte, la chose va tourner selon ses désirs, et voilà comment l’enfant Jésus lui-même se trouvera compromis dans le résultat peu édifiant que l’on sait.

Une autre difficulté pour qui veut à l’ordinaire traduire un livre espagnol, c’est d’en conserver le ton, la couleur… Ton et couleur, si l’on peut dire, en sont naturellement outrés. Le caractère de la langue, celui du peuple lui-même, se prêtent à l’emphase et à l’exagération. Le travers est commun d’ailleurs à tous les gens du midi, heureux encore lorsque l’exagération ne porte que sur les mots sans atteindre jusqu’à la pensée. Effet d’un mirage peut-être, une mystérieuse influence existe dans ces chauds pays de soleil qui pousse les meilleurs esprits à grossir, enfler, amplifier toute chose. La littérature, on le comprend, n’est pas la dernière à s’en ressentir. Je n’ai pas oublié avec quelle verve communicative un Espagnol, homme d’esprit et de goût, s’en plaignait naguère devant moi. « Dans ce pays, disait-il, nous sommes infectés du mal de la magniloquence, et le mal date de loin déjà. Lope de Vega, Calderon, nos plus grands génies, ont des pages insupportables de recherche, d’enflure et de mauvais goût, seulement il y a chez eux de quoi racheter amplement ce défaut ; chez les modernes au contraire, le défaut se trouve presque toujours sans rien qui le compense. Cela choque d’autant plus qu’entre hommes et dans le détail ordinaire de la vie, par un retour naturel, le ton de la conversation tombe souvent au-dessous même de la vulgarité. Tel député qui à la tribune s’est complaisamment rempli la bouche de phrases creuses et de grands mots longs d’une à une les traduit dans les couloirs à ses amis par un mot cru qui ferait pâlir votre catéchisme poissard. Pour les femmes, c’est différent, et l’on doit convenir que leur langage est exquis. Elles lisent peu : en Espagne, un bas-bleu est rare ; avec des mots que sait l’enfant de sept, ans et en petit nombre, elles arrivent à tout dire. N’est-ce pas ainsi que font vos meilleurs auteurs, Molière, La Fontaine et Voltaire ? Aussi, quand au sortir d’une société de ce genre on tombe inopinément sur un livre, article, discours, sermon, où l’obscurité le dispute à la recherche, le phébus au pathos et l’ithos au patois, il vous semble avaler quelque vin chimique après avoir dégusté le pur jus de la treille. » Sachons donc gré à M. Valera de nous avoir donné une œuvre plus saine qu’on n’était vraiment en droit de l’attendre. Son style est en général net, facile et coulant ; on y relèverait sans doute, à se montrer sévère,