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elle-même. Quoique ce reproche se fasse encore entendre chez les étrangers dont les informations retardent de cinquante ans, quoiqu’on l’entende aussi en Allemagne dans la bouche de quelques hommes, qui le répètent simplement par habitude ou dont le patriotisme germanique est intolérant et insatiable, la vérité est qu’aucun pays n’a su ramener aussi bien à ses intérêts, à ses souvenirs et à ses espérances la plupart des études et des exercices qui concourent à l’éducation de la jeunesse. Cette alliance de l’enseignement et de la politique a son origine dans les luttes du commencement de ce siècle, dans le long et persévérant travail qui devait aboutir à l’unité de l’Allemagne. Il serait intéressant de rappeler ici cette histoire ; mais un tel récit demanderait beaucoup de pages. J’aime mieux ne pas m’écarter de mon objet immédiat et exposer tout de suite ce que j’ai constaté, sauf à revenir, en manière de digression, sur l’origine des faits que nous observerons.

Une des premières leçons auxquelles j’aie assisté a été la leçon d’histoire au Friedrichs-Werdersche-Gymnasium à Berlin, en Oberprima, c’est-à-dire dans la classe la plus élevée. Le professeur était le directeur même du gymnase, car en Allemagne les directeurs ne se regardent pas comme exempts de l’enseignement, et leurs leçons sont peut-être les plus profitables de toutes, à cause de la double autorité qui s’attache à leur parole. Le directeur du gymnase de Werder est le respectable M. Bonnell, un descendant des réfugiés protestans français qui vinrent demander un asile à la Prusse lors de la révocation de l’édit de Nantes. Ses aïeux, comme il me l’a raconté, étaient vignerons au village de Villiers-le-Bel, près de Paris. M. le docteur Bonnell, qui a plus de soixante-dix ans et qui est directeur de son gymnase depuis 1838, s’est acquis une juste réputation par ses leçons et par ses livrés. De ce qu’il faisait le cours d’histoire en prima, il ne faudrait pas conclure d’après nos idées françaises qu’il fît de l’enseignement historique sa spécialité : en général, les spécialités sont poussées moins loin ici qu’en France, et l’on évite ce qui pourrait trop les favoriser ; ainsi chaque maître est tenu de donner au moins deux sortes d’enseignement. On forme ainsi un personnel plus homogène, plus capable de combiner dans une juste proportion ses efforts, plus apte à se prêter de mutuels services, et du côté des élèves on obtient une instruction moins éparpillée, moins tiraillée en divers sens.

La leçon du jour était le règne de Frédéric II. C’est en effet l’histoire d’Allemagne qui fait l’objet des leçons des deux dernières années. Comme on a déjà appris au moins une fois l’histoire d’Allemagne, le maître peut davantage insister sur les considérations morales, sur le développement des institutions et des idées. M. Bonnell, avec beaucoup de simplicité et de gravité, tantôt