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de l’antique appareil des cours, et, s’il y avait une moralité à tirer de cette soirée d’inauguration solennelle, de ce gala donné par ordre, je proposerais celle-là, qui me semble résumer l’esprit bien définitivement démocratique de la société où nous vivons.

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ESSAIS ET NOTICES.
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UN ROMAN DE MŒURS ESPAGNOL.
Pepita Jimenez, par don Juan Valera, Madrid 1874.


Une œuvre originale, un véritable roman de mœurs, la chose est rare au-delà des monts et vaut la peine d’être notée. Ce n’est pas que les auteurs ni les productions littéraires fassent jamais défaut dans ce pays classique de la fécondité, où les vers ne coûtent pas plus que la prose, et où Lope de Vega écrivait une tragédie en une matinée. On lit beaucoup à Madrid, dans toutes les classes de la société ; mais la critique n’a rien à voir dans ces récits interminables où se pressent les personnages, semés d’imbroglios plus invraisemblables qu’un conte de fée, et dont le style trop souvent ne se sauve de l’emphase que pour tomber à plat dans la vulgarité. Cela se publie par livraisons ornées de gravures et vendues au prix de quelques réaux. Tel est proprement aujourd’hui le fonds de la littérature indigène. Ajoutez-y des traductions hâtives et banales de romans étrangers, français pour la plupart, mais non pas toujours les meilleurs ni les mieux choisis, et vous aurez une idée à peu près exacte de ce qui occupe la curiosité de la population madrilène. Et pourtant au milieu de ce fatras on trouverait parfois des œuvres de valeur et qui dénotent chez les auteurs le souci de la forme et le sentiment de l’art. Les romans de Fernan Caballero, pseudonyme sous lequel se cache Mme Bohl de Arron, ont été successivement traduits dans toutes les langues de l’Europe. Sans atteindre à la même popularité, d’autres noms mériteraient d’être mieux connus chez nous : ainsi Pedro de Alarcon, qui tout récemment encore publiait le Tricorne (el Sombrero de tres picos), un petit livre charmant, alerte et déluré, écrit à la façon de nos vieux fabliaux, avec une légère pointe de gaîté malicieuse et de fine ironie.

Du premier coup et par une œuvre semblable, M. Juan Valera vient de prendre place parmi les meilleurs romanciers de son pays. À dire vrai, sa réputation était déjà faite, et bien que le roman fût un genre tout nouveau pour lui, l’auteur de Pepita Jimenez n’était rien moins qu’un débutant. Par sa position, sa famille, M. Valera appartient à la plus haute société de Madrid. Son père avait le grade de contre-amiral