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d’Hellène : Rhôdope tenait pour la démocratie contre la monarchie. Le jour où, à Saïs, elle vit Cassandane et dit adieu à Sappho, elle prononça sur la liberté civile et politique un de ses plus longs discours, fidèlement traduit par le bon Crésus à la veuve de Cyrus. Après quoi on est un peu surpris que Darius, fils d’Hystaspe, ait mandé, par lettre autographe au satrape d’Égypte de faire à Rhodope des funérailles royales, et de déposer ses cendres sous la plus haute des pyramides.


III

Voilà les faits, sinon la poésie, du roman historique de M. George Ebers. La langue est limpide et harmonieuse, d’une élégance exquise en sa simplicité, bien digne de modifier les idées arriérées de certaines personnes sur la nature des œuvres littéraires d’outre-Rhin. Sans parler des classiques de l’Allemagne, des philosophes, des savans et des historiens comme Schopenhauer, Strauss et E. Curtius sont en même temps des écrivains accomplis. Bien qu’il ne soit pas aussi hautement doué, M. Ebers est un écrivain fort remarquable. S’il eût créé une œuvre de pure imagination ou composé quelque histoire, l’Allemagne compterait un beau et bon livre de plus ; au lieu de cela, elle nous offre un ouvrage pédantesque et naïf, une paraphrase souvent fastidieuse d’Hérodote, un commentaire poétique des grands recueils d’inscriptions de l’Égypte, de l’Assyrie et de la Perse. Oh ! le plaisant projet d’enguirlander de fleurs artificielles le sphinx de Gizeh ! La judiciaire n’est-elle pas ce qui a parfois un peu manqué à l’auteur d’une Fille de roi d’Égypte ?

On s’en veut presque de n’avoir toujours pu tenir son sérieux quand Rhodope, Ladice, Crésus, déclament sur les droits de la femme, sur la religion naturelle et la nïorale indépendante. Le libéralisme politique et religieux est chose si extraordinaire sur les bords du Nil ou de l’Euphrate ! Pourquoi M. Ebers a-t-il écouté M. Lepsius ? L’éminent égyptologue, à qui cette œuvre est dédiée, estimait qu’un roman exclusivement égyptien dépayserait trop les lecteurs. M. Ebers a donc choisi une époque où Grecs et Persans sont mêlés aux Égyptiens, l’époque des rois saïtes, d’origine libyenne, de la XXVIe dynastie. Cette combinaison lui a porté malheur. Il est une autre Égypte, nullement sombre et hiératique, heureuse et souriante sous son œil bleu, couverte d’épis mûrs et de villes populeuses, toute retentissante du bruit des chars de guerre, des tambours et des sonneries belliqueuses de ses armées passant sous les pylônes, suivies de caravanes chargées de poudre d’or, d’ivoire et de plumes d’autruche, d’innombrables troupeaux de Coush, des