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propre. L’Université doit maintenir ou plutôt élever son enseignement supérieur à la hauteur où le progrès incessant des méthodes, où le nombre croissant des observations et des expériences a porté la science. Il lui faut donc avant tout des savans, mais des savans doués du talent de faire comprendre et goûter cette science, plus séduisante dans l’ensemble de ses grandes lois et de ses merveilleuses applications que dans le détail de ses statistiques, de ses observations, de ses méthodes et de ses formules. De purs érudits, d’habiles et profonds monographes ne ramèneront pas le public français autour de nos chaires de faculté ; c’est pour les écoles des hautes et spéciales études, ces grands laboratoires de la science, qu’il convient de garder de tels savans. Là leurs précieuses qualités d’observation, d’analyse, de critique, auront beau jeu, de même que tout ce qui ressemble à des facultés oratoires ou littéraires n’y trouverait aucun emploi utile ; mais, s’il est nécessaire de bannir de l’enseignement des facultés les thèses de pure éloquence qui attirent la foule en faisant le bruit et non la lumière, il importe tout autant d’en écarter, au moins pour tous les enseignemens qui comportent un public plus ou moins nombreux, ce qu’il y aurait de trop technique, de trop abstrait ; de trop spéculatif, qui ne répondrait point aux besoins, aux lumières, aux forces d’un public à ménager, surtout dans nos provinces.

La haute science a sans doute sa place dans l’enseignement supérieur en France comme ailleurs ; mais, si partout en Allemagne, elle trouve un public suffisant en nombre et en qualité, elle ne peut le trouver chez nous que dans quelques grands centres de population. Dans la plupart de nos académies, il faut l’avouer, on ne peut occuper, sinon remplir, les salles de cours qu’en mettant l’enseignement à la portée d’un public qui s’ennuie ou se décourage, si l’on ne sait lui rendre la science ou attrayante ou facile. De là la nécessité, soit de dégager la science de ses plus épineuses difficultés, soit de la faire descendre dans les questions pratiques d’art et d’industrie, s’il s’agit des sciences physiques, dans les questions de morale, de pédagogie, de politique et d’économie sociale, s’il s’agit des sciences philosophiques. Cette manière d’adapter la science au milieu dans lequel on l’enseigne n’est pas sans doute ce qu’il y a de plus digne d’elle ; mais il faut bien s’y résigner du moment que le succès est à ce prix. Et, pour terminer ce travail par une conclusion qui s’applique, selon nous, à toute entreprise ayant pour objet la réorganisation de notre pays, sous quelque rapport que ce soit, disons que réforme est bien le mot de la situation, in hoc signo vinces, mais à la condition d’y ajouter cette formule : réforme selon le génie national.


E. VACHEROT.