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dans le pays, mais si peu d’effet sur les progrès de la science, et sur la haute culture de la jeunesse intelligente, laborieuse de nos collèges et de nos lycées ?

Nous ne voudrions pas faire de digression à la fin d’une étude déjà bien longue ; mais il nous est impossible de ne pas signaler, à côté de causes spéciales et secondaires, la cause générale et profonde du vide qui se fait autour des chaires de faculté de province. Il ne faut pas, aujourd’hui surtout, mettre un sot orgueil à méconnaître nos défauts, nos faiblesses, en même temps que les vertus et les mérites de nos voisins ; mais il y aurait un égal inconvénient à ne pas tenir compte, dans nos projets de réformes, du génie même des peuples qu’on envie ou qu’on prend en pitié. Le peuple de France a été, est et sera toujours, quoi qu’on fasse, une race de logiciens, de philosophes, d’orateurs et d’écrivains avant tout, comme avant tout le peuple allemand a été, est et sera toujours une race d’érudits, de savans, d’historiens et de géographes ; toujours, disons-nous, parce que c’est la nature même de l’esprit national qui porte des fruits si différens. Si le caractère propre de l’esprit allemand est la capacité (pardon pour les mots techniques), le caractère propre de l’esprit français est la faculté. Voilà pourquoi, dans leur activité si féconde, mais si diverse, l’un crée, compose, improvise, argumente, déclame parfois, quand l’autre observe, expérimente, recueille et expose sans art et souvent sans logique, — pourquoi l’un excelle à trouver la matière, et l’autre la forme d’un livre, — pourquoi enfin la France compte tant d’écrivains avec plus de littérature que de science, et l’Allemagne tant de savans avec plus de science que de littérature. Nous dirons donc, pour rentrer dans le sujet, que notre admiration est grande pour ces nombreux foyers de la science allemande qu’on appelle universités, où afflue la jeunesse, où circule la vie, où l’initiative se produit partout, où la concurrence des méthodes et des systèmes stimule, les esprits et aide aux progrès de la science, où l’élaboration des matériaux scientifiques est si active ; nous ne rêvons pas cependant un tableau absolument pareil pour nos facultés. Nos professeurs n’ont pas besoin qu’on leur rappelle que leur enseignement ne doit rien avoir de commun avec les discours ou les conférences d’athénées, qu’ils doivent chercher, par la nature même de leur enseignement grave, méthodique, substantiel, scientifique enfin, plutôt la qualité que la quantité des auditeurs ; mais ils savent aussi qu’une parole sans couleur et sans vie, sans quelques-uns de ces agrémens qui stimulent la curiosité ou réveillent l’attention, n’attire pas un public français, quelque chargée qu’elle soit de science et d’érudition. On peut le regretter, si l’on songe que la science se fait avec le bien-savoir et le bien-penser plutôt qu’avec le bien-dire, et que c’est