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une obligation dans une main-d’œuvre délicate. La concurrence à l’intérieur de Roubaix et de Rouen et celle à l’extérieur de Bradford et d’Halifax ont pourtant donné à réfléchir aux maisons si ingénieuses de Sainte-Marie-aux-Mines. Le travail mécanique y a été introduit, et on y compte maintenant cinq grands ateliers. Le premier essai y avait été fait dès 1853 par MM. Dietsch frères : il portait sur quatre métiers à quatre navettes qui sortaient des ateliers de M. Marc Schmitt à Heywood ; d’autres métiers, poussés jusqu’à six navettes, sont venus s’ajouter à ceux-là, ainsi que toutes les machines préparatoires. D’autres remarques ont de plus en plus accéléré ce mouvement ; la première, c’est que le tissage à bras ne peut pas donner la régularité d’un travail mécanique où le dessin se trouve produit par un petit Jacquard ; la seconde, c’est que l’encollage à la main ternit ou fait couler les nuances les unes dans les autres, inconvénient d’autant plus grave que le blanc et les nuances claires entrent pour une plus grande part dans les articles fabriqués. Le parage mécanique au contraire donne plus d’éclat aux couleurs, qui sont conservées dans toute leur pureté.

Tout en comptant sur la supériorité que lui assurent ses traditions et l’habileté de ses auxiliaires, Sainte-Marie manquerait donc à son étoile, jusque-là si heureuse, si elle négligeait les ressources que les arts mécaniques mettent dans les mains de ses concurrens. C’est le cas de dire qu’en industrie comme ailleurs non-seulement il faut vaincre, mais encore savoir profiter de la victoire. Le but à atteindre, c’est de travailler automatiquement, quels que soient le nombre des navettes et la variété des matières et des fils. Une industrie n’est vraiment inattaquable qu’en arrivant à produire au meilleur marché possible avec une perfection relative qui soit la plus grande possible. Sainte-Marie, dans une certaine mesure, est déjà sur cette voie. Tandis qu’elle montre, comme limite de ses objets de luxe, d’élégantes robes de fantaisie en laine et soie qui se paient de 3 à 5 francs et même au-delà, elle a pour des vêtemens plus modestes des tissus de 75 centimes le mètre. Difficilement on trouverait ailleurs, pour un travail analogue, des ouvriers plus habiles et des maîtres plus ingénieux.

Nous voici au bout de ce qu’a fait la Haute-Alsace pour le développement et le perfectionnement de ses fabrications capitales. Aller plus loin serait se noyer dans les détails sans rien ajouter à la démonstration d’un progrès successif et continu. Il convient de passer maintenant à une autre preuve, celle de savoir si la même corporation industrielle qui a tant fait pour les choses a montré un égal souci pour les hommes, et si, dans son rapide élan vers la fortune, elle a suffisamment tenu compte des humbles auxiliaires qui y