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travail qu’il condamna cet outil. Il venait d’observer une jeune fille qui y était occupée et qui avait les cheveux ébouriffés. Il me dit : « Si je passais un peigne profondément et avec force dans les cheveux de cette ouvrière, je ne manquerais pas de les lui arracher tous, tandis qu’en commençant ce travail par les pointes je les démêlerais sans aucun mal ; c’est ce qu’il faut chercher à faire, et non pas comme opère la machine Collier, qui déchire toute votre laine. »

« J’avais à Malmerspach des ouvriers champenois qui savaient peigner à la main. Je leur fis allumer leur fourneau, et, après que mon ami les eut vus travailler un moment, il me dit qu’il allait chercher le moyen de faire mécaniquement un travail aussi parfait que celui qu’on obtenait à la main. Il retourna plusieurs fois à Malmerspach dans le cours d’une année, et au bout de ce temps il revint me chercher pour aller ensemble (en emportant quelque laine pour le peignage) dans une mansarde de la filature de M. Nicolas Schlumberger à Guebwiller, où il me fit voir une machine, pour ainsi dire seulement ébauchée, qu’il avait construite, secondé par un ouvrier mécanicien de Hambourg, qui était son aide depuis plusieurs années. M. Nicolas Schlumberger père et son fils Henri, accompagnés de M. Jean-Jacques Bourcart père, nous rejoignirent bientôt après. Josué Heilmann mit en œuvre la laine que nous avions apportée, la machine à peigner le coton et la laine était inventée.

« A peine la peigneuse trouvée, quoique non encore parfaite, Josué Heilmann s’occupa de donner au fil de soie, dit de fantaisie, qui prenait une si grande importance dans les mains de M. Alliotti à Arlesheim (Suisse), les qualités et l’apparence de fils produits par de bons cocons. Peu de temps avant sa mort, il me fit voir dans son appartement une machine commencée qui devait atteindre ce but. Son fils Jean-Jacques, qui avait perfectionné la peigneuse, en fit autant, je crois, de la machine à soie, et je suis fondé à penser qu’il prit, après la mort de son père, des arrangemens avec M. Alliotti pour exploiter cette machine. »

Ainsi naquit cette peigneuse, le plus simplement du monde, par aventure en quelque sorte, à la suite d’une observation familière, et au spectacle d’un outil défectueux. De tels exemples suggèrent des imitateurs. A peine Heilmann et après lui son fils eurent-ils lancé leur peigneuse, qu’Hubner, de Mulhouse, annonça la sienne, qui relevait d’un autre système, et pour laquelle André Kœchlin prit un brevet comme constructeur et concessionnaire. C’était une machine annulaire et continue sans analogie avec celle d’Heilmann, et ne pouvant donner prise à aucune action en contrefaçon. Les deux machines marchèrent parallèlement et en se tempérant l’une l’autre par une concurrence qui arrivait à point.