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confié jusque-là à des ouvrières, est remplacé par un peignage qui donne au coton une pureté, une netteté, un brillant dont on n’avait jamais approché et en réalité un caractère nouveau. On a pu en autre dépasser notablement l’ancienne limite de finesse et de solidité en employant la même matière.

Mais que de misères pour en venir là ! que de tâtonnemens ! quelle succession de courtes espérances et de longs découragemens ! On a fait un roman sur les souffrances de l’inventeur ; ce roman est l’histoire de Josué Heilmann. D’une suite de découvertes qu’il a faites dans les arts industriels, quelques-unes ont abouti de son vivant, et ce sont les moindres ; la principale, sur laquelle il comptait le plus, qui devait illustrer son nom, n’était à sa mort qu’une promesse ; il n’en avait tiré ni gloire ni profit, et après des recherches obstinées, elle restait incomplète, et voilà que le succès éclate quand la tombe vient de se fermer sur lui ! C’est son fils, son élève qui en trouve le dernier mot et qui en recueille les bénéfices. A vivre quelques années, il eût pu voir du moins sa peigneuse, introduite dans les grandes filatures de l’Europe, venger la France des dédains de l’Angleterre, s’imposer à elle comme un bienfait et une nécessité.

Il est un autre nom qui restera attaché à la découverte de Josué Heilmann, et il serait injuste de l’oublier, c’est celui des Schlumberger. Le génie de l’inventeur n’eût pas suffi pour mettre l’œuvre au jour sans les avances et les conseils du capitaliste. C’est à cette puissante maison qu’Heilmann dut l’idée d’appliquer au coton, l’instrument qu’il avait imaginé pour la laine, et d’adapter à ce travail nouveau les plans de la construction. On conçut alors » pour les exécuter plus tard, trois systèmes de peigneuses appropriées à trois qualités de coton, longs, mi-longs et courts, mettant ainsi les matières à traiter en rapport avec les agens de ce traitement. Voici d’ailleurs, au sujet de l’invention de la peigneuse, qui’ est passée en Alsace à l’état de légende, une version que raconte M. Penot d’après M. Hartmann-Liebach de Malmerspach.

« Déjà, dit celui-ci, avant 1840, quelques filateurs de laine avaient remplacé le peignage à la main par des machines de M. John Collier de Paris. Ce fut, je crois, en 1846 que Josué Heilmann acheva d’organiser chez M. J. Albert Schlumberger, à Mulhouse, le tissage de l’étoffe dite moleskine. Alors, n’ayant plus d’occupation bien arrêtée, il en parla à M. Jean-Jacques Bourcart et à M. Henri Schlumberger, de Guebwiller, qui l’engagèrent à faire une machine pour peigner le coton longue soie, à l’instar de ce qui se pratiquait déjà pour la laine, Josué Heilmann se mit aussitôt à l’œuvre, et, comme j’étais très lié avec lui, il vint me trouver, me parla de son projet, me demanda à voir fonctionner les machines Collier, installées à Malmerspach. Il avait à peine assisté pendant quelques minutes au