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quoique la marchandise soit devenue plus belle. Ajoutons qu’il y a dans ces évaluations une certaine part d’arbitraire. La valeur de la marchandise fabriquée n’a en effet rien de stable, puisqu’elle est sujette à toutes les fluctuations qui ont lieu dans le prix des toiles, des drogues, du combustible, de la main-d’œuvre, et qu’elle dépend en outre à chaque époque, on pourrait dire pour chaque maison, de la nature des tissus employés. Le prix de revient n’est donc en réalité qu’une approximation, et pour constater au juste les progrès d’une industrie il faut recourir à d’autres données. Or il en est une qui, pour les toiles peintes, ne saurait tromper, c’est le nombre des machines que les fabriques mettent en mouvement. En 1862, on comptait 101 machines à imprimer dans le Haut-Rhin ; en 1867, le nombre s’en élevait à 111. Voilà le progrès démontré par un chiffre ; c’est un dixième d’activité acquise dans l’espace de cinq années.

Pour obéir à l’ordre des dates, nous avons ouvert cette revue des industries de la Haute-Alsace par les toiles peintes, qui sont la forme la plus raffinée du traitement du coton. Il faut en revenir maintenant à des formes plus élémentaires, et d’abord à la filature. Quelle place occupait, dans le courant de l’activité française, le tribut des filatures alsaciennes ? quel vide l’Alsace y laisse-t-elle de puis sa séparation ?


II

J’ai dit que l’un des premiers soucis de Mulhouse avait été de s’approprier toutes les fabrications qui étaient des attenances ou des dépendances de celle qu’elle avait introduite chez elle vers le milieu du siècle dernier. Il allait de soi que la première acquisition à réaliser était la filature, et il y avait beaucoup à faire pour cela. On ne portait alors sur les métiers que des cotons filés dans les Vosges en numéros 8 à 18 métriques ; ce travail occupait quelques femmes et quelques enfans qui, en recevant 18 sous de la livre, gagnaient de 6 à 8 sous par jour. Pour suppléer à cet approvisionnement médiocre et insuffisant, parfois on faisait venir des filés de Paris ; mais l’essentiel était d’avoir des filatures sur les lieux mêmes et de les pourvoir d’outils perfectionnés. Ce n’était pas une entreprise facile. L’Angleterre gardait encore soigneusement le secret de ses découvertes ; déjà pourtant il en transpirait quelque chose en France, et un sieur Martin d’Amiens avait obtenu par arrêt en 1784, à titre de « premier importateur de machines à filer le coton inventées en Angleterre, » le privilège d’établir une manufacture dans le hameau de L’Épine (Seine). Peu à peu les filatures se répandirent dans la Picardie, la Normandie et la Flandre, là où le régime révolutionnaire en