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dans un village à quelques lieues de Damas. Il a bien voulu sortir pour nous de ses habitudes et venir nous recevoir dans la maison très simple et très modeste où nous le trouvons. Abd-el-Kader a une belle tête, grave et douce, mais susceptible de s’illuminer sous une impression religieuse ou belliqueuse. Grâce à ses cheveux, qu’il teint soigneusement, il paraît beaucoup plus jeune que son âge. Nous recevons de lui un accueil cordial : il s’informe avec empressement des affaires de France, de la politique européenne, et nous demande de nous intéresser à son fils, qui a obtenu l’aman après avoir été compromis dans la dernière insurrection. Abd-el-Kader jouit d’une autorité incontestée sur ses compatriotes algériens, fort nombreux en Syrie. Cet ascendant lui a permis de rendre, pendant les massacres de 1860, de tardifs, mais sérieux services. Aussitôt après les sanglantes journées, l’émir s’enferma durant deux mois dans la grande mosquée pour se purifier de la souillure contractée aux yeux des croyans en sauvant des têtes infidèles.

Il faut entendre avec quelle épouvante les survivans parlent de cette triste époque. Depuis lors il plane comme un nuage de terreur sur Damas. A de certains jours, sans raison apparente, un frisson d’épouvante court par la ville, chacun serre à la hâte ses hardes et ses objets précieux et se dispose à fuir à Beyrouth. Les chrétiens, nombreux et armés, ne songent même pas à se défendre, et se laisseraient, aujourd’hui comme alors, égorger sans résistance. Quelques Druses auraient raison de tout le faubourg.

Pourtant nulle population ne paraît plus tranquille et plus facile à conduire que celle-ci, quand un courant de fanatisme ne vient pas l’agiter dans ses couches profondes. Les actes de violence sont fort rares : c’est un étonnement perpétuel pour nous de voir le Cawas du consulat, qui nous précède suivant la coutume locale, écarter rudement à coups de courbache cette foule de musulmans armés pour la plupart, intolérans et prévenus contre l’Européen. Voit-on un étranger qui se promènerait sur nos boulevards en faisant cravacher les passans par un sergent ! Est-ce que le sentiment de la dignité humaine est moins développé chez eux que chez nous ? Pourtant sous bien d’autres rapports ils le portent à un degré inconnu aux classes inférieures de notre société ; seulement l’Oriental a le respect passif et absolu de l’autorité sous toutes ses formes : habitué à ne la voir exercer que par ceux qui peuvent l’appuyer sur la force, il n’en raisonne jamais la source et se courbe devant ses manifestations extérieures.

Tout ce peuple est administré, jugé et contenu par une douzaine de fonctionnaires turcs gravement occupés à fumer des cigarettes dans les salles du Konaq (hôtel du gouvernement). Les sentences