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lourde et bête. Devant l’insouciance des musulmans et la terreur des chrétiens, les Juifs enrichis sont les seuls à bâtir. Ils demandent à l’architecture les travestissemens les plus grotesques. Chez l’un d’eux, nous avons admiré une fontaine, portée sur des lions sculptés par un plâtrier italien, et des panneaux ornés de palmiers de marbre, au feuillage en relief, avec des serins empaillés posés entre les branches. C’est le dernier mot du goût israélite. Un autre fait peindre des médaillons par un badigeonneur de passage, et, nous prenant à témoin de ses sentimens français, il nous montre sur le mur, entre un railway et un steamboat,… la maison de M. Thiers ! Le bon Damasquin était à Paris pour son négoce à l’époque de la commune ; justement indigné de la destruction de l’hôtel du président, il l’a fait reproduire dans sa galerie.

La plus luxueuse de ces constructions récentes est la maison d’Ambhar, un Juif millionnaire, dont la fortune ressemble à une histoire des Mille et une Nuits. Parti, il y a quelque vingt ans, pour les Indes comme domestique, il en est revenu, nous dit-on, « avec son fez plein de diamans. » On sait que les Orientaux affectionnent pour leur épargne ce placement solide, mobile et facile à dissimuler. Rien n’a été oublié, excepté le goût, dans ce temple qu’il pourrait dédier, comme les anciens, à la Fortune lointaine. Un heureux hasard nous y fait pénétrer pendant une solennelle réunion de famille, un tableau saisissant, que Véronèse eût intitulé les Relevailles de l’accouchée. Tout, jusqu’à la prédominance des tons jaunes dans les toilettes des femmes, fait penser aux grandes toiles du maître. L’accouchée est assise sur son lit de parade, dans des flots de dentelle, magnifiquement ornée, peinte comme Judith allant séduire Holopherne. Des femmes, en costumes éclatans et criards, chargées de joyaux et de diadèmes, fardées, les sourcils rasés, entourent le chevet du lit. Les amis, les enfans juchés sur des patins de bois ou d’ivoire, perdus dans leurs grandes robes lilas, cerise, vert-pomme, sont réunis autour des tabourets de nacré, couverts cde raisins et de pistaches. Le maître se promène au milieu de tout ce monde en gombaz de soie jaune à ramages, noué par une ceinture de cachemire. Quelques-unes de ces Juives ont de grands yeux expressifs, avivés encore par le kohl ; mais le reste du visage est caché sous une triple couche de céruse et d’antimoine.

Cette scène de vie antique prise sur le fait, si colorée et si neuve pour nous, nous retient aussi longtemps que les bienséances le permettent. En sortant de chez Ambhar, nous passons devant un autre tableau, tout posé pour Rembrandt, celui-là. Dans une sorte de petite chapelle isolée, au fond d’une niche en bois curieusement peint et fouillé, merveilleusement éclairé par un rayon oblique dans