Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de marbre, ou simplement tapissé de nattes, partagé en deux par un degré qui exhausse la moitié honorable de la pièce. Ici encore une fontaine alimentée souvent par un ou plusieurs jets d’eau. Le Barada, débité par mille conduits dans toute la ville, fournit abondamment aux maisons riches ce luxe suprême de l’Orient ; des contrats séculaires, qui constituent souvent la plus grande valeur de l’immeuble, assurent à chacun la part qui lui revient. Un divan circulaire, recouvert de soie brochée d’argent et d’or, des tabourets à incrustations de nacre meublent la pièce ; des niches revêtues de marbre, de marqueterie, de carreaux de faïence, supportent des porcelaines et de l’argenterie ; nous nous extasions surtout devait les boiseries et les plafonds, d’une grâce et d’un éclat incomparables, tantôt à poutrelles saillantes, peintes et dorées, tantôt à caissons évidés où les habiles menuisiers d’autrefois ont découpé dans le cèdre et le sycomore toute une végétation luxuriante de rosaces, d’arabesques, de fleurs, aux nuances sobres et éteintes, relevées par les tons d’or. La peinture et l’aquarelle pourraient seules rendre l’impression de ces plafonds damasquins, dignes de lutter, dans un genre plus léger et plus éclatant, avec les stalles de chœur et les bois sculptés de notre renaissance.

Dans ces grands appartemens, isolés par leurs cours du bruit de la rue, protégés contre l’été par leurs arbres, leurs fontaines, leurs pavés, tout est fraîcheur, silence et plaisir des yeux ; accroupi sur le divan, distrait, puis assoupi par le murmure perpétuel de l’eau dans la vasque, on laisse son imagination voguer à plein rêve dans les royaumes de la reine Mab, jusqu’au moment où l’on se sent envahi par le dieu oriental que tout implore ici, le kief, c’est-à-dire l’inaction parfaite, consciente et voluptueuse, de l’âme et du corps.

Les maîtres de ces palais nous reçoivent avec l’affabilité courtoise qu’on ne saurait refuser aux mœurs de l’Orient ; ils nous en font modestement les honneurs, comme à des amis attendus : sans nous importuner du flux de paroles dont un Européen se mettrait en frais pour accueillir ses hôtes, ils nous laissent contempler silencieusement leurs richesses, en dégustant le café, les confitures de roses, les sorbets et les narghilés que les serviteurs nous présentent, une main posée sur leur cœur.

Je dois ajouter maintenant, pour être véridique, que cet ensemble harmonieux et complet ne se retrouve plus à Damas que chez deux ou trois privilégiés. Presque partout, la morsure du temps, la ruine des familles, ont causé des dommages irréparables ; plus souvent encore leur fortune a porté le dernier coup à la vieille demeure par l’envahissement du meuble européen. Dans les constructions modernes, le plan traditionnel est respecté, mais tout est décadence