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possédions, un orage balaie le ciel, la pluie fouette les hublots, et le vent fait rage : patience, demain nous serons en Syrie !


Beyrouth, 7-11 novembre

Quand les bons pèlerins allemands, dit encore le frère Faber, arrivèrent à l’aurore en vue des côtes de Syrie, ils furent éveillés par ce cri de la vigie : « O seigneurs pèlerins, levez-vous et montez, voici apparaître la terre que vous avez tant désiré voir, la terre-sainte, la terre de Chanaan, la terre glorieuse ! » Si les mousses de la Minerva ne nous ont pas donné ce pieux éveil, le nôtre a été pourtant touchant et singulier en son genre. En ouvrant les yeux au bruit de la chaîne d’ancre criant sur les écubiers, je reconnais la diane sonnée par des clairons français ; je saute sur le pont et j’aperçois, mouillés tout autour de nous, les quatre bâtimens de l’escadre arrivée d’hier en rade de Beyrouth, la Gauloise, la Reine-Blanche, la Thétis et le Desaix. Ils saluent le soleil levant en hissant à leur corne les couleurs nationales, bien douces à voir si loin du pays. C’est justice et plaisir d’apercevoir pour la première fois à travers des mâts français cette terre où nous allons retrouver à chaque pas les vestiges de notre sollicitude séculaire, des trophées, des pierres, des idées qui crient notre nom.

Cette première émotion donnée à l’apparition imprévue de la patrie, nous embrassons d’un regard Beyrouth, la plage et les sommets du Liban. Eh bien ! faut-il l’avouer ? la première impression a été médiocre, comme celle de tout rêve ardemment caressé qui se réalise, c’est-à-dire qui meurt. Le ciel est chargé de pluie, de lourds nuages voilent, sur notre gauche, la longue chaîne du Liban, de Beyrouth à Batroun. En face, la ville, adossée à une colline, vient baigner ses dernières maisons dans la mer ; mais ces maisons européennes, à toits de tuiles, ont un aspect par trop civilisé. Je ne peux comparer Beyrouth, vue du large, qu’à Hyères, Cannes ou toute autre station d’hiver de la Méditerranée. Quant à la fertile végétation des campagnes, mes yeux, que le désert n’a pas encore rendus indulgens, la trouvent bien maigre.

Nous débarquons à l’abri d’un petit brise-lames, qui s’appuie aux assises rocheuses d’une grosse tour, reste des fortifications de l’émir Fakhr-ed-Din. Les drogmans des hôtels nous entourent depuis le pont du paquebot et se disputent nos effets et nos personnes. Ce sont tous de jeunes Maronites, de mine fière et intelligente, portant avec recherche l’élégant costume syrien, la veste courte et les pantalons bouffans. Ils parlent notre langue avec aisance, et rien ne rappelle chez eux la servilité basse et l’affreux baragouin des