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JOURNEES DE VOYAGE
EN SYRIE

LES ÎLES, LE LIBAN, DAMAS.

Quand le voyageur en Asie a pourvu aux préparatifs de la caravane et compté ses bagages sur le bât des mulets, il n’a garde d’oublier un petit cahier dont la place est marquée dans les fontes de la selle, et qui doit recevoir chaque soir la trace de ses étonnemens et de ses réflexions. A mesure que les journées de route s’accumulent, et avec elles les impressions fortes et neuves dont cette terre de Syrie n’est jamais avare, le cahier surchargé se fait volume ; on le rapporte avec une certaine faiblesse, ce compagnon devenu cher par la communauté de tant de fatigues et de joies, on feuillète souvent ces pages d’où s’envolent tant d’heures enchantées. En les retrouvant embellies de toute la grâce des souvenirs qu’elles évoquent, qui n’a pensé à en faire bénéficier ses amis et même le grand public ? Un peu inquiet alors, on relit ses devanciers, on reprend avec eux la route parcourue, et l’on s’aperçoit avec un effroi naïf que bien d’autres ont ressenti et rendu avant nous ces impressions, si nouvelles et si merveilleuses que nous croyions les avoir dérobées à des trésors inconnus.

J’ai éprouvé à mon tour cette piquante et commune mésaventure des voyageurs. Si elle m’a détourné de faire avec mes souvenirs un livre, du moins puis-je plaider la cause de ces feuilles arrachées au hasard à mon carnet par de trop bienveillantes amitiés : elles n’ont d’autre prétention que de raconter à leur fantaisie quelques-uns des