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sauvage. Je me perdais et me retrouvais toujours. Les plus étroits défilés, les plus populeux carrefours et les plus jonchés de pièges m’appelaient de préférence ; je les découvrais avec certitude. Un instinct funeste m’y dirigeait. C’étaient des circuits étranges, inexplicables, un labyrinthe tournoyant comme celui des damnés luxurieux. Je repassais plusieurs fois tout haletant aux mêmes angles. Il semblait que je reconnusse d’avance les fosses les plus profondes de peur de n’y pas tomber, ou encore je revenais effleurer le péril de l’air effaré dont on le fuit. Mille propos de miel ou de boue m’accueillaient au passage, mille mortelles images m’atteignaient, je les emportais dans ma chair palpitante, courant, rebroussant, comme un cerf aux abois, le front en eau, les pieds brisés, les lèvres arides. Enfin un jour, de guerre lasse… »

Je suis forcé de suspendre ici la citation devant le récit d’une scène qu’un directeur prudent s’abstiendrait peut-être de raconter à un jeune pénitent. Aussi ces récits sont-ils rachetés par des considérations mystiques où la nécessité de la grâce divine est démontrée par l’analyse et l’étalage des faiblesses humaines, où les rêveries du théosophe Saint-Martin sont mises en parallèle avec la doctrine de saint Augustin, où l’oraison jaculatoire interrompt les aveux les plus embarrassans par des effusions et des ardeurs de repentir mystique. Dans ces pages singulières, attachantes et fatigantes à la fois, l’auteur déploie, sous un peu d’emphase et de recherche dans l’expression, une sagacité de moraliste et de directeur chrétien qui arrachait à un modeste prêtre de campagne ce cri de surprise : « Votre livre est d’une vérité effrayante, » Ces préoccupations édifiantes n’empêchent pas Amaury de continuer avec une humilité peut-être un peu complaisante le récit de ses fautes et de la double vie qu’il mène à partir de sa première chute, l’une de plaisir et de désordre, l’autre d’amour et d’ambition. Ces désordres n’enlèvent rien en effet à l’âpreté de la passion qu’il ressent pour Mme de Couaën, et il s’aventure à en traduire les exigences sur un ton qui commence à effrayer la pure et noble femme en détruisant le rêve qu’elle avait caressé d’une paisible existence à trois entre Amaury et le marquis de Couaën. Cependant Amaury n’a encore raconté qu’une partie des entraînemens où le conduit la recherche de la volupté. Le hasard des circonstances l’a fait entrer en relations avec une Mme R…, femme d’un fonctionnaire de l’empire, qui coquette et sensible, délaissée par un mari négligent, s’efforce à la sourdine d’enlever à Mme de Couaën la possession du cœur d’Amaury. Tant que les deux femmes sont en présence, la douceur ingénue de Mme de Couaën l’emporte sur les artifices de Mme R… ; mais quand le marquis, compromis dans le