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l’aurez, » jusqu’au moment où, Amaury se plaignant de l’exiguïté de sa fortune, qui est un obstacle à son ambition, elle s’échappe à dire : « Oh ! nous l’aurons, nous l’aurons ! »

Mais le soir même du jour où il a recueilli cet aveu détourné, Amaury, s’en revenant à cheval par la bruyère, tressaille à l’idée de fixer déjà sa destinée, même dans le bonheur. Il comprend que l’heure des résolutions décisives n’a pas encore sonné dans sa v vie. Les combinaisons mystérieuses dont la jeunesse est prodigue ouvrent à ses regards un horizon infini, et il ne se sent pas la force de faire à cette existence facile, à ce chaste amour qui s’offre à lui, le sacrifice des rêves confus et malsains qui hantent son imagination. D’ailleurs il va devenir bientôt infidèle par la pensée à celle qui avait un instant ému son cœur. Il a rencontré dans une partie de chasse le marquis de Couaën, gentilhomme breton, qui durant tout le récit se consumera dans une lutte sourde et persistante contre Napoléon, et qui s’alliera pour le combattre aux émigrés, à Pichegru, à Moreau, à Cadoudal : nature altière, grand homme méconnu, dont le caractère fortement trempé fait tout le temps contraste avec la nature noble et langoureuse d’Amaury. Il est présenté par le marquis à sa femme, Irlandaise d’origine, dont la beauté souveraine ne tarde pas à effacer dans l’imagination d’Amaury les grâces de Mlle Amélie. C’est au retour d’un pèlerinage à la chapelle de Saint-Pierre-de-Mer, en voyant le marquis de Couaën soulever sa femme dans ses bras et déposer un baiser sur ses cheveux, qu’Amaury se rend compte de la place que Mme de Couaën a conquise dans son cœur. A partir de ce jour commence pour lui une vie d’orages intérieurs où la lutte s’établit entre les rêves d’un amour idéal, le seul que Mme de Couaën puisse inspirer ou ressentir, et les sollicitations d’une nature grossière qui se révolte contre l’austère régime auquel on voudrait la soumettre. Amaury accompagne la marquise de Couaën à Paris, où les préoccupations de la politique ont déjà attiré le marquis, et, tandis qu’il demeure passionnément épris de la femme sans parvenir cependant à se détacher tout à fait de Mlle Amélie, il se laisse engager dans les conspirations du mari ; mais à Paris un nouvel écueil l’attend, sur lequel il vient échouer. Je préfère lui laisser raconter à lui-même son naufrage.

« Une ou deux fois, le soir, après avoir fait route avec M. de Couaën jusqu’à ses rendez-vous politiques, près de Clichy, où je le quittais, je m’en revins seul, et de la Madeleine aux Feuillantines (le couvent où Mme de Couaën était descendue) je traversais comme à la nage cette mer impure. Je m’y plongeais d’abord à la course au plus profond milieu, multipliant dans ma curiosité déchaînée ce peu d’instans libres… J’allais donc et me lançais avec une furie