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régime éclate jusque dans les articles littéraires publiés par Sainte-Beuve dans les premières années qui ont suivi les événemens de 1830. Il parle à plusieurs reprises des mécomptes que le régime héritier de la révolution de juillet a fait éprouver à toutes les âmes éprises « d’idéal et d’honneur. » En quoi l’idéal et l’honneur de Sainte-Beuve avaient-ils été froissés par le nouveau régime ? On serait assez embarrassé de le découvrir ; mais en y regardant de près ses griefs contre le gouvernement de juillet paraissent d’une nature beaucoup plus tangible.

On a vu que sa renommée naissante de critique était loin de suffire à l’ambition de Sainte-Beuve, et qu’il n’avait pas renoncé à conquérir par une œuvre ou une action d’éclat le retentissement de la célébrité. La révolution de juillet vint précisément, durant cette phase d’ambition inquiète, dissiper le petit monde littéraire au milieu duquel vivait Sainte-Beuve. Des collaborateurs quotidiens qu’il avait coudoyés dans les bureaux du Globe, bon nombre se laissa enlever aux lettres pour prendre place dans les assemblées, et quelques-uns même dans les ministères. La veille ils étaient connus seulement des érudits et des gens d’esprit, le lendemain la France et l’Europe étaient familiarisées avec l’écho de leur nom. Six mois de vie parlementaire avaient plus fait pour la popularité de leur renommée que dix ans d’études et de travaux. Au milieu de tout ce bouleversement, que devenait Sainte-Beuve ? Obtenait-il sa part dans cette distribution nouvelle de la gloire, et quelqu’un de ses maîtres ou de ses condisciples l’avait-il appelé à parcourir avec lui la nouvelle carrière ? Non. Il demeurait ce qu’il avait toujours été jusque-là : homme de lettres, et la révolution de juillet n’avait exercé sur son existence d’autre action que de le faire passer de la Revue de Paris à la Revue des Deux Mondes, qui entrait alors dans la carrière. Nul doute qu’il n’ait vivement souffert de cet effacement momentané, et que son amour-propre, prompt à s’aigrir, n’en ait conservé une cuisante blessure. Pendant tout le temps que dura le régime de juillet, il ne perdit aucune occasion d’adjurer les hommes qui étaient au pouvoir de revenir à leurs premières études, et de leur adresser au nom des lettres dédaignées un pressant appel. Sa voix ne fut guère écoutée par eux ; aussi, quand au bout de vingt ans la dure nécessité les contraignit de suivre son conseil et de reprendre leur plume délaissée, leur résignation ne put trouver grâce devant ses yeux, car son orgueil ne pouvait souffrir que la littérature, à laquelle il avait consacré sa vie, fût considérée par eux comme un pis-aller. De là contre les hommes du nouveau régime et contre les doctrinaires en particulier une irritation assez difficile à saisir dans son germe, qui s’est trahie dès L’origine, mais qui n’a cependant