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romaine. La Sicile perdit en même temps sa fécondité et son indépendance. Tant qu’elle fut maîtresse d’elle-même, elle garda une place brillante dans le chœur de la littérature et des arts de la Grèce. Une fois chose romaine, elle devint stérile ou peu s’en faut. Son dernier grand homme tomba avec Syracuse, dont il avait retardé la chute. Après Archimède, la Sicile ne compte guère, dans la période antique, que des esprits de second ordre, exégètes et commentateurs d’Aristote et des néoplatoniciens. La philosophie des pères de l’église ne peut guère nommer non plus aucun docteur sicilien. Il est possible que saint Pantène, fondateur de l’école catéchétique d’Alexandrie, soit né en Sicile, — on ignore en quelle ville précisément ; — mais il est certain qu’il n’y résida pas. On compte encore comme Sicilien Firmicus Maternus, l’auteur du traité De errore profanarum religionum ; mais c’est un polémiste de peu d’autorité.

Pendant le moyen âge, la Sicile fut successivement foulée ou occupée par les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Normands, les Angevins, les Aragonais et les Espagnols. Elle fut le théâtre de luttes fréquentes et n’offrit nulle part un centre de culture comparable aux écoles de Bologne et de Padoue. Entre les diverses branches des connaissances humaines, les Arabes estimaient peu la philosophie. La philosophie, comme on l’a prétendu, était-elle antipathique en effet au génie sémitique ? Nous ne savons ; mais elle paraît avoir été suspecte et peu populaire parmi les Arabes. Les seuls et vrais philosophes arabes semblent être des théologiens, des commentateurs du Coran et des sectaires. Les quelques aristotéliciens arabes sont des exégètes de seconde ou de troisième main, souvent infidèles sans le savoir et involontairement originaux, quand ils le sont. L’Aristote arabe, demi-syrien et demi-alexandrin, est un Aristote contrefait et qui ne ressemble guère au véritable Aristote. En traversant différentes traductions, celui-ci est devenu méconnaissable. On peut donc le dire, le mouvement des idées auquel président les Arabes, et plus tard l’empereur allemand Frédéric II, roi de Sicile, n’est rien moins que philosophique. De même les controverses du moyen âge entre les réalistes et les nominalistes eurent certainement un écho en Sicile, où les thèses réalistes parurent s’ajuster mieux au génie fin, subtil et idéaliste des Siciliens ; mais ce ne fut qu’un écho qui reproduisit en l’affaiblissant le bruit un peu vain des autres écoles européennes. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’arrêter sur aucun des noms et des ouvrages dont M. di Giovanni a recueilli pieusement le souvenir. L’esprit et la méthode du moyen âge durèrent en Sicile plus longtemps que partout ailleurs. Les penseurs qui, à l’aurore des temps modernes, ouvrirent la porte à une philosophie plus indépendante, et apprirent à l’Europe, si l’on peut dire, l’usage de la libre raison, sont pour la plupart Italiens. Aucun d’eux, ni Pomponazzi, ni Telesio, ni Patrizzi, ni Vanini,