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REVUE. — CHRONIQUE.

Victor-Emmanuel de Païenne, archéologue et lettré délicat, s’est fait connaître par une édition des Œuvres philosophiques de Miceli de Montréal et par nombre de travaux personnels. M. di Giovanni appartient à la grande tradition du christianisme libéral. Il a un autre caractère, moins utile peut-être à un philosophe et à un historien, à savoir un patriotisme très vif et très accentué. Il est Sicilien et il adore son pays. Le patriotisme est une noble passion, mais parfois difficile à concilier avec les exigences de l’impartialité. L’histoire en effet n’est œuvre ni de parti ni de sentiment. Çà et là dans les livres de M. di Giovanni, on peut noter une complaisance pour les « choses siciliennes, » qu’un étranger comprend, mais qu’il ne partage pas toujours. M. di Giovanni a entrepris de mettre en lumière les titres littéraires de son pays. Il écrit dans sa préface : Mi sono rivolto ad illustrare quanto ho potuto le cose siciliane. Nous le dirons sans malice, il paraît en effet quelquefois moins les raconter que les illustrer.

Le premier volume de son ouvrage est consacré à l’histoire des philosophies antique, scolastique et moderne, le second à l’histoire de la philosophie contemporaine en Sicile. Dès le début, on voit percer le zèle patriotique que nous avons signalé. Selon M. di Giovanni, le mouvement philosophique qui précéda Socrate fut en grande partie l’œuvre des Grecs siciliens. Cette proposition ne peut être admise aisément. C’est de l’Ionie en effet que les fondateurs de l’école italique et de l’école d’Élée passèrent dans l’Italie méridionale. Pythagore, comme on sait, est né à Samos, et Xénophane à Colophon. Le caractère des spéculations de Pythagore et de Xénophane est fort différent sans doute de celui des spéculations de Thalès et d’Héraclite, et on ne peut guère soutenir qu’il y ait eu filiation des ioniens aux pythagoriciens et aux éléates. Il reste cependant que le littoral et les îles de l’Ionie demeurent le véritable berceau de la philosophie grecque. Les considérations ethnographiques dans lesquelles l’auteur est entré au sujet des premiers habitans du midi de la Péninsule ne semblent pas pouvoir prévaloir ici contre les indications de la chronologie.

M. di Giovanni a présenté un tableau très complet et très brillant de la culture antique en Sicile : l’éléatisme et le pythagorisme fondus dans l’enseignement d’Empédocle, la poésie gnomique y prenant corps dans la comédie morale d’Épicharme, la rhétorique trouvant ses premiers maîtres dans Corax, Tisias et Gorgias le Léontin, enfin sur cette terre privilégiée, bien avant qu’Athènes devînt le centre d’attraction et le foyer commun de toutes les œuvres de l’esprit, les arts, les sciences, la poésie, la morale et la philosophie florissant dans la plus belle et la plus riche harmonie, toute la vertu et toute la force du génie grec condensées en Sicile, tous les dons de l’esprit s’y épanouissant avec une richesse merveilleuse. Ce grand éclat s’éteignit avec la conquête