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toit de feuillage, les vestiges d’un passage et rien de plus. Je m’attendais à en trouver autant à Shinoro, que la chute du jour ne me permet pas de dépasser. A ma grande surprise, il y existe une maison, bien modeste sans doute, mais enfin habitée et habitable. Encore un bienfait du kayetakushi ! C’est à Shinoro que s’arrête, quand il vient, le bateau à vapeur qui approvisionne cette introuvable et inaccessible capitale qu’on appelle Satsporo. L’unique maison a pour maître le yakounine, de fort petite condition, qui fait office de garde-magasin et veille au transbordement des produits, dirigés de là en canots sur la ville. Obligé de me présenter moi-même, j’ai la plus grande peine du monde à lui faire comprendre que tout étranger n’est pas forcément Américain ou Anglais ; quant à la notion d’un Français, elle dépasse absolument ses connaissances ethnologiques, bornées au bassin de l’Ishikari. Il n’oublie pas de me faire l’énumération de tous les objets qui lui manquent pour m’offrir une hospitalité convenable ; mais il finit enfin par se rendre à l’observation évidente que je serais encore plus mal dans la forêt baignée d’humidité qui nous entoure. Les moustiques et d’autres suceurs gigantesques qui envahissent la chambre ne se hâtent que trop de confirmer cette vérité. Avec quel soin on fait le tour de la moustiquaire avant de s’y glisser d’un bond !

Chacun le lendemain reprend sa place dans la pirogue, et nous continuons de remonter. A droite et à gauche, la forêt déploie son immensité et nous enveloppe de son silence. La vie semble retirée de cette solitude, où l’on entend à peine un cri d’oiseau de loin en loin. Les rives se rapprochent, lorsque 5 ris au-dessus nous abordons à Tobets. Tobets, — qu’on ne s’y trompe pas, — contient deux huttes, dont l’une est une écurie et l’autre un réduit fort humble où par malheur toute une famille japonaise, père, fils et bru ; types accomplis de dégradation physique et morale, était, quand j’y arrivai, abominablement ivre de saki. Mes bateliers ne tardent pas à se mettre au diapason ; ils refusent de repartir, et la situation deviendrait critique sans l’intervention de deux Aïnos qui m’offrent de les remplacer.

Laissant à droite le Tsushikari-gawa, nous remontons encore pendant deux ris, puis le rideau de chênes, de châtaigniers, d’aulnes et de saules s’ouvre de nouveau, et nous entrons dans le Setoshi-gawa, un pittoresque affluent, où nous ne tardons pas à rencontrer Yébets, le seul groupe d’habitations entrevu depuis Ishikari. C’est un. pauvre hameau de quelques huttes, habité uniquement par des Aïnos ; il faut naviguer deux jours et camper en pleine forêt pour trouver de nouveau trois autres huttes, qui s’intitulent Kami-kawa, et à 85 milles de la source un nouveau groupe de même