sous peine de mort. On les voit s’enfuir sous les arbres ; il paraît qu’ils viennent paisiblement manger dans la main, comme l’indiquent des débris de papier, leur suprême friandise, à demi lacérés et jonchant la terre ; mais la vérité m’oblige à confesser que je les ai vainement appelés. J’avais du reste un compagnon peu fait pour les attirer ; mon chien leur courait sus en jappant.
De retour dans la baie de Matsusima, j’y passe quelques jours en excursions, qui se résument dans la dernière faite à Miura. C’est une haute colline boisée, située au milieu même de la baie et consacrée, comme toujours, par un temple. C’est de là qu’on aperçoit d’un seul coup d’œil les huit cents îles qui font de ce paysage l’un des plus beaux panoramas du Japon. En entendant répéter ce chiffre fantastique, j’avais cru à une de ces exagérations de la vanité locale dont les voyageurs se font souvent les complices, mais il a fallu se rendre à l’évidence. Si dans le nombre beaucoup ne sont que des rochers, il en est bien peu que ne surmonte un bouquet d’arbres ou une touffe de verdure. On dirait que du haut de Miura quelque semeur divin a d’un geste unique jeté autour de lui cette poussière gigantesque. C’est en vain que j’ai sollicité des habitans une explication mythologique du phénomène. Il n’entre pas dans la tournure d’esprit des Japonais d’encadrer les merveilles naturelles dans aucunes de ces fables dont le génie grec et aryen est si libéral. Ce n’est point ici d’ailleurs, comme dans le sud, l’ancien séjour des dieux ; jamais ils n’ont honoré de leur présence ces contrées redoutables du nord où vivait la race détestée des Aïnos. Le vieux prêtre qui me dresse une table dans son temple, sous le regard pacifique de Kannon-sama, répond donc à mes questions, dont la naïveté l’étonne, qu’il en a toujours été ainsi de mémoire d’homme. Je m’attendais à cette réponse. Je ne suis pas plus heureux dans mon interrogatoire scientifique ; les théories sur les transformations du sol n’intéressent pas mon homme, et je suis forcé de m’en tenir à l’hypothèse que suggère l’aspect partout semblable du terrain calcaire et le peu de profondeur des eaux, celle d’une lente érosion pratiquée par les flots dans une masse jadis compacte.
En revanche, mon hôte m’entretient de questions politiques ; il a vu la dernière guerre civile en 1868, il en parle en homme qui sans doute a dû faire des vœux pour le parti du nord quand il était debout et l’accompagner de ses regrets dans la défaite. Partout ici, dans les choses et dans les hommes, on retrouve vivace ce souvenir, qui disparaît à Yeddo sous le fracas des nouveautés. Là, le gouvernement éblouit le peuple et l’accable d’une onéreuse sollicitude : il compte ainsi rallier les tièdes et décourager ses ennemis ; mais dans ces provinces, qui ont pris part à la guerre, qui en ont souffert, qui