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nous franchissons le diamètre de l’est à l’ouest. Au fond du golfe, on aperçoit les montagnes de la province de Mutsu et le port d’Ishi-no-maki. Devant nous se dessinent déjà les premières îles détachées d’un archipel. On dirait moins des îles que des bateaux chargés de verdure, tant elles sont petites, tant leur feuillage les recouvre jusqu’au pied. Presque toutes sont inhabitées ; mais en voici de plus grandes, derrière lesquelles nous glissons ; la haute mer disparaît, et nous avons franchi désormais la ceinture de rochers qui enclave les eaux paisibles de la baie où dort, comme au bord d’un lac suisse, le joli village de Matsusima. Ces eaux peu profondes ne nous permettent pas d’avancer, et le Kunzu-maru termine sa course dans une île voisine, à la douane de Sabusawa. Il est midi, nous avons mis cinq jours à franchir cent lieues.


13 août. À bord du Kwai-djin-maru.

Après dix jours de courses à cheval ou de promenades en canot, il a fallu encore une fois camper sur le pont d’un nouveau steamer japonais, en tout semblable au premier comme installation, comme discipline et comme vitesse, pour gagner le but de mon voyage, Hakodaté et l’île de Yézo. Je profite des loisirs d’une bonne traversée pour résumer mes impressions de ces dernières journées.

Sabusawa est un port d’accès difficile, où les produits des riches provinces environnantes s’échangent contre les articles manufacturés d’importation indigène ou étrangère, venus soit en jonques, soit par de petits bateaux à vapeur comme celui qui m’a amené. De grandes jonques, des magasins, des agences de transport, donnent à ce petit bourg une animation commerciale qui attire et ne retient pas. Deux heures après mon arrivée, je montais en sampang, et à travers les méandres des îles et des îlots je gagnais Matsusima à trois ris plus loin.

De la maison de thé à trois étages où je suis descendu, on domine une grande partie de ce lac formé par le hasard, et les yeux reposent avec délices sur les accidens de cette nature enchanteresse. Le paysage japonais produit l’impression d’une miniature ; tout y est harmonieux, coquet, presque artificiel. Rien de heurté, ni dans les tons, ni dans les formes ; la lumière semble caresser les contours qu’elle baigne. Sur un îlot, à gauche de la plage, s’élève un petit temple ; sur un autre, à droite, une rangée de pierres funéraires indique le cimetière. Les pêcheurs qui dorment là semblent encore bercés dans leur barque indolente, comme ceux qu’on voit glisser le long de leur dernière demeure. Derrière le village s’élève une bonzerie, entourée de nombreuses chapelles ; autrefois