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ces élémens n’en altèrent pas l’individualité propre : en un mot, il y a là polymorphisme successif et non métamorphose dans le sens primitif du mot.

Ce polymorphisme n’est pas du reste un caractère général des eucalyptus. Il fait défaut dans une certaine mesure chez les espèces qui, comme l’eucalyptus cordata, fleurissent sur des rameaux à feuilles toutes opposées. Ici l’état adulte et l’état infantile se confondent, et, sans vouloir établir d’assimilation trop étroite entre des animaux à fonctions centralisées et des plantes à élémens multiples, il est permis peut-être de comparer la forme infantile et la forme adulte des eucalyptus dimorphes aux deux états de têtard et d’adulte des batraciens ordinaires (grenouilles, salamandres), tandis que les eucalyptus fructifiant sur leurs rameaux à type infantile seraient analogues aux batraciens dits pérennibranches (protée par exemple) qui se reproduisent sexuellement tout en gardant les caractères de larves à respiration branchiale.

Quoi qu’il en soit de cette assimilation générale, le fait saillant, c’est l’existence de deux états de frondaison chez certains eucalyptus, d’un seul état chez quelques autres. Que, par des causes dont on ne peut prévoir l’action, un eucalyptus de ce premier groupe vienne à fructifier sur ses rameaux de premier âge, rien ne dit que les graines de ces fruits ne reproduiront pas en germant les caractères des rameaux dont elles dérivent, et que la nature n’aura pas ainsi formé par une simple variation de feuillage devenue fixe à peu près l’équivalent de ce qu’on décrit tous les jours comme des espèces. En d’autres termes, si l’on trouvait normalement fructifies les rameaux habituellement stériles d’un eucalyptus globulus, n’aurait-on pas sous les yeux une forme nouvelle du type qui, rencontrée isolément et sans connexion avec son point de départ, serait naturellement décrite comme espèce véritable ? Et qui nous assure que bien des espèces données comme bonnes, acceptées pour telles, ne sont pas ainsi les dérivés de types actuellement vivans ou de types antérieurs ? Ce n’est là sans doute qu’une hypothèse, mais le polymorphisme naturel qu’on observe dans les élémens similaires d’une même plante pourrait bien représenter fixées sur la plante même les variations qui dans d’autres circonstances se détacheraient, s’isoleraient, et vivraient à part en gardant par la génération une certaine fixité.

Je ne prétends pas résoudre ainsi le problème si complexe de l’espèce ; cependant j’y trouve un argument de tendance, sinon de fait, en faveur de la théorie générale de la dérivation, opposée à la théorie de la fixité absolue des types et des créations successives par une sorte de miracle répété ; mais quittons ces régions un peu