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aise avec la tradition et la règle ; mais au commencement du siècle le succès ne s’obtenait point à si bon compte. Pour éveiller l’attention du public et pour mériter le pardon d’une critique jalouse, il fallait absolument que l’on fût le disciple de quelqu’un. Le service que Sainte-Beuve s’efforça de rendre aux romantiques, ce fut de les représenter comme les disciples de Ronsard. Plus d’un lien apparent rattachait en effet l’auteur de la Franciade aux poètes de l’école moderne ; il avait attiré les foudres de Boileau, l’ennemi personnel des romantiques. Il avait été un novateur et un révolutionnaire en poésie. Il avait rompu des lances avec les classiques de son temps en levant l’étendard de l’insurrection contre les préceptes de l’art poétique de Thomas Sebilet : enfin la pléiade d’auteurs qu’il avait réunis autour de lui ne créait-elle pas un précédent au cénacle ? Que de ressemblances avec celui que dans sa petite cour poétique on appelait a notre grand Victor ! » Si c’était ici le lieu d’aller jusqu’au fond des choses, je crois qu’il serait facile de montrer que ces ressemblances étaient plus apparentes que réelles. L’imitation voulue des formes anciennes, que ne lui inspirait pas, comme à André Chénier, un amour sincère de l’antiquité, la pompe affectée du langage, la solennité de l’allure poétique, feraient bien plutôt de Ronsard le précurseur de notre vieille école classique ; ce qu’elle a eu d’artificiel et d’exagéré pourrait à bon droit lui être imputé. Les procédés de versification qu’il a inventés ont exercé moins d’influence sur les esprits de son temps que le succès de la Franciade, et il est bien véritablement le père de tous ces poèmes en douze chants qui, depuis la Pucelle de Chapelain et la Pharsale de Brébeuf jusqu’au Philippe-Auguste de Parseval Grand-Maison et à la Navigation d’Esménard, ont été la plaie de notre littérature. Ces réserves ont été marquées au reste dès le début par M. de Rémusat, dans deux articles du Globe, avec la finesse d’un esprit supérieur que l’admiration n’aveugle point jusqu’à l’engouement. L’expérience a montré combien il avait raison de vouloir soustraire la mémoire de Ronsard à ces querelles d’école. Pour nous en effet, ce qui nous plaît aujourd’hui à connaître du vieux poète, ce ne sont pas ses coupes, ses césures, ses emjambemens, que Sainte-Beuve étudiait avec tant de soin pour tirer de cette étude la justification des licences romantiques ; mais nous aimons à noter chez lui, dans quelques pièces éparses les premiers soupirs de cette inspiration intime et personnelle qui s’est traduite de nos jours en tant de plaintes harmonieuses gravées dans nos mémoires. Nous aimons à comparer :

Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse !

avec :

Le temps s’en va, le temps s’en va, madame,