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paraissent d’abord n’exprimer que le juste sentiment que le poète a de lui-même ; mais prenez ensuite l’ode XXII du livre II, écoutez-le parler de sa métamorphose en oiseau, — aigle ou cygne, — et vous saisirez la fine pointe d’ironie. Il met dehors la vanité, et tout en même temps la plaisante avec une simplicité charmante et qu’il est impossible de ne pas admirer dans les vers de la XXe épître, adressée à son livre :


Odisti claves, et grata sigilla pudico ;
Paucis ostendi gemis, et communia laudas,
Non ita nutritus.


Ces épîtres, quelques-unes des satires, sont des morceaux de genre merveilleusement réussis ; il sait animer, dramatiser les moindres événemens, une invitation qu’il n’a pas acceptée, une lettre à laquelle il a négligé de répondre ; son dialogue avec Lydie, cette scène de deux amans qui ne se querellent que pour se réconcilier est un petit cadre divin, cela se respire comme une rose fraîche épanouie, et dans ses chansons à boire et ses chansons d’amour, dans ses lieds, quelles mélodies, quelles strophes ! Horace s’est calomnié, et ne fut jamais ce pourceau d’Épicure entrevu par les moines du moyen âge sur la foi du poète lui-même. On connaît la légende tracée en manière d’épilogue par un saint homme de bénédictin au dernier feuillet d’un manuscrit : « Ici se termine l’œuvre du divin Flaccus, le plus fameux ivrogne et débauché qui jamais ait existé. » Un Trimalcion, un coureur de filles, un sac-à-vin, lui, ce dilettante épuré, sans cesse occupé à tenir en juste équilibre les désirs, les appétits sensuels et les aspirations de l’intelligence !

On aime à se représenter la vie d’Horace comme un harmonieux composé de bien-être physique et moral. Il eut ses poétiques heures, ses jours charmans, pleins de soleil et pleins d’azur, où l’amour et l’amitié lui firent fête. Celui qui fut l’ami de Mécène, de Virgile et de Tibulle, qui posséda cette intelligence raffinée, ce sentiment délicat et profond des beautés de la nature, et qui toujours demeura fidèle à son goût pour la solitude, celui-là n’était point un homme ordinaire, et, s’il lui arriva de pécher, on peut lui pardonner ses erreurs. Il y a deux poètes chez Horace, l’un qui du front cherche à toucher les astres, l’autre qui modestement se meut sur le terrain de la réalité. Des deux, choisissez le second. Il nous présente ses amis, nous initie à ses occupations, nous entretient de ses joies, de ses peines ; la rencontre avec son fâcheux sur la voie sacrée, son voyage de Rome à Brindes, sont de la comédie et du roman modernes. « Déjà la nuit se préparait à couvrir la terre de ses ombres et à semer les étoiles dans le ciel ; dans le forum d’Appius, esclaves