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payer ses dettes de reconnaissance envers les grands personnages qui l’honorent de leurs bienfaits. Ces sortes de panégyriques étaient, nous le savons, dans l’étiquette du temps, Horace pouvait s’y livrer sans mériter d’être accusé de platitude ; d’ailleurs, disent ses apologistes, « il aimait tant son indépendance ! » Certes, oui, il l’aimait et la préférait aux fonctions les plus enviées ! Une lettre d’Auguste, que Suétone nous a conservée, ne permet aucun doute à ce sujet. « Autrefois, écrit à Mécène le maître du monde, je pouvais suffire à ma correspondance avec mes amis, mais aujourd’hui que mes occupations et ma mauvaise santé m’en empêchent, je voudrais bien t’enlever notre Horace. Mon désir serait qu’il cessât de vivre chez toi en parasite et vint prendre place à ma table royale et me servir de secrétaire. » Horace n’avait nul goût pour cet emploi ; sa flânerie, son mode d’existence y répugnaient ; d’autre part il ne se sentait aucun souci de se brouiller avec un si puissant empereur, dont la colère l’aurait eu bientôt mis en disgrâce près de l’illustre et cher Mécène. Le péril fut conjuré, mais on peut supposer que telle ode, ici et là, décochée à propos, n’aida point médiocrement à la circonstance. Horace conserva donc la faveur du maître et se maintint à la cour en bonne posture, sans rien faire de ce qu’on lui demandait, ce qui est le comble de l’habileté. Loin d’en vouloir à son poète, Auguste ne perdait pas une occasion de lui envoyer une parole aimable : « Notre Septimius te dira quel bon souvenir je te garde, car c’est en sa présence même que j’ai parlé de toi. S’il a plu à ton orgueil de mépriser notre amitié, nous n’en prendrons pas de revanche. »

Souvent, chez Horace, le souffle est absent ; la pièce tourne court après avoir au début ouvert des ailes d’hippogriffe. Ce vers délicat, exquis, lorsque soigneusement vous l’écossez, ne vous laisse en somme qu’un précepte mesquin, mais que tout cela est dit avec grâce, et même quand l’image manque de vérité, quand le sentiment se dérobe et que le grand poète fait défaut, quel artiste ! En lisant certains romans contemporains, certaines impressions de voyage, étonné de vous laisser prendre à des choses si mal écrites, ne vous est-il jamais arrivé de vous demander : « Mais après tout qu’est-ce donc que le style ? Voici un ouvrage qui n’en a pas l’ombre, un ouvrage absolument sans littérature, et qui cependant m’intéresse et malgré moi force mon attention. » Rien de plus fréquent que ces sortes de repentirs succédant à quelque vulgaire lecture. Sans nul doute, vous avez été surpris, entraîné ; mais à ce livre, que vous venez de dévorer d’un trait, une fois que vous l’aurez fermé, vous n’y retournerez plus ; autant en emporte l’oubli. Le style seul a le charme qui dure, et c’est par son style qu’Horace est immortel.