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grand nombre d’objets qui ont une provenance certaine, un acte de naissance en règle. Dans les anciennes collections italiennes comme celles des Farnèse, des Albani et des Borghèse, souvent on ignore où le marbre a été trouvé, et les connaisseurs les plus habiles se demandent s’ils ont affaire à un original grec ou à une copie de l’époque romaine. A Londres, le musée des antiques offre au contraire un certain nombre de points de repère fixes et sûrs, points de repère dans l’espace, points de repère dans le temps ; ces monumens sont sortis de terre, sous les yeux d’observateurs diligens, dans la Carthage romaine et en Cyrénaïque, à Chypre et à Rhodes, en Lycie et en Carie, en Ionie et dans les îles, en Attique et dans d’autres régions de la Grèce propre. Ils permettent d’essayer une sorte de géographie esthétique du monde ancien. De plus, beaucoup de ces marbres sont datés, à quelques années près : ce sont les statues assises du chemin des Branchides, avec ces inscriptions qui aident à en fixer l’âge, ce sont les ouvrages de Phidias et de ses élèves, la cariatide de l’Érechthéion, un peu postérieure, les marbres du mausolée et ceux d’Éphèse, ce sont tous ces débris des monumens ioniques d’Asie-Mineure, contemporains d’Alexandre et de ses successeurs. Mieux peut-être que partout ailleurs, l’historien de la civilisation antique et de l’art grec trouve ici les moyens de s’orienter dans ce vaste domaine, d’en reconnaître et d’en délimiter les différentes provinces, de partager ce long développement en périodes successives dont le rôle et le caractère soient bien définis. Si le Musée-Britannique eût été dans le cours du XVIIIe siècle ce qu’il est devenu depuis lors, Winckelman y eût trouvé, pour entreprendre son grand ouvrage, plus de ressources encore que dans la villa du cardinal Albani et le musée du Vatican ; c’est là qu’il aurait dû établir son quartier-général.


III

Nous ne nous engagerons ni dans l’Égypte ni dans l’Assyrie, que représentent pourtant au musée, surtout la dernière, des monumens de premier ordre. Signalons seulement un fait curieux à propos des derniers objets qui soient venus enrichir les galeries assyriennes : la mission en Mésopotamie, à laquelle on les doit, n’a point été payée par le musée ou le gouvernement ; elle a été confiée à M. George Smith, assyriologue distingué, par les propriétaires d’un journal quotidien, le Daily Telegraph. C’est d’ailleurs un monde que ces deux grandes civilisations ; il vaut mieux n’y point toucher que d’en parler légèrement et sans compétence. Nous passerons aussi sans entrer devant le cabinet des estampes (print room) et