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avait ménagés l’architecte. De nombreux lions étaient rangés tout autour du soubassement, muets gardiens de la tombe. La décoration de chacune des quatre faces avait été confiée à un sculpteur différent. Pline nous a conservé leurs noms : c’étaient Scopas, l’auteur du groupe célèbre des Niobides, Leocharès, Bryaxis, Timothée, les maîtres de l’école athénienne au temps de Philippe. Un cinquième sculpteur, Pythis, avait exécuté le char et le groupe qu’il contenait. Statues et bas-reliefs étaient en marbre de Paros ; cette belle matière avait été d’ailleurs presque partout recouverte de couleurs dont la trace s’est retrouvée aussi bien sur les figures que sur les surfaces et les moulures de l’édifice. Par ses dimensions, par la beauté de son plan et la richesse de son ornementation, cette tombe l’emportait tellement sur toutes les autres constructions funéraires, qu’on la comptait parmi les sept merveilles du monde, et ce qui témoigne peut-être encore mieux de la réputation dont jouissait ce monument, c’est qu’il avait fini par introduire dans l’usage un terme nouveau : le nom propre était devenu un nom commun qui a passé sous une forme légèrement altérée dans la plupart de nos langues modernes.

Il nous est difficile de juger aujourd’hui l’œuvre de l’architecte du mausolée. M. Newton en a bien recueilli et rapporté de nombreux fragmens, bases, fûts, chapiteaux des colonnes, morceaux de corniche et d’autres moulures ; mais rien n’a été retrouvé en place, sauf quelques assises d’un mur d’enceinte. La destruction de l’édifice avait été commencée par les tremblemens de terre ; elle a été achevée au XVe siècle par les chevaliers de Rhodes. Le mausolée leur a servi de carrière quand ils ont construit et fortifié contre les musulmans le château de Boudroum, petite ville qui a remplacé l’ancienne Halicarnasse. Plusieurs restaurations ont été tentées : les auteurs en sont arrivés à des résultats très différens. Ces différences mêmes prouvent que les données dont nous disposons ne suffisent pas pour résoudre le problème. Il n’en est pas de même pour la sculpture ; on en possède assez sinon pour en restituer l’ensemble, tout au moins pour en apprécier le style et le mérite. La pièce capitale, c’est la statue de Mausole, qu’à force de patience on a réussi à reconstituer presque tout entière ; elle se compose aujourd’hui de soixante-cinq morceaux ; il ne manque guère que l’occiput et les bras. La figure est largement drapée ; mais ce qu’elle a surtout d’intéressant, c’est la tête. Celle-ci ne ressemble à aucune autre des œuvres célèbres de la grande sculpture grecque, de la sculpture monumentale ; quoique Mausole soit ici représenté dans une sorte d’apothéose, on se sent en face non point d’un personnage idéal ni même idéalisé, mais d’un portrait. C’est l’impression que donnent tous les traits, la largeur du crâne,