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prix de quels sacrifices ! Presque toute la vieille noblesse et la vieille bourgeoisie s’exilèrent ; la population de Vienne fut en partie renouvelée, et l’on vit des villes, autrefois florissantes par leur commerce, comme Freistadt, tomber en décadence pour ne plus se relever. Même spectacle en Silésie ! Depuis la paix de Westphalie jusqu’au moment où Frédéric II s’empare de la province, l’émigration ne s’interrompt pas, et, comme c’étaient surtout des Allemands qui avaient embrassé la réforme, l’élément slave reprit le dessus dans ce pays, qui était déjà aux trois quarts germanisé. En Bohême, le désastre fut plus grand encore, et il eut des conséquences plus graves.

Devenus rois de Bohême en 1526, les Habsbourg ne tardèrent pas à suivre la conduite la plus impolitique qu’on pût imaginer. Le souvenir de Jean Huss, mort sur un bûcher, autour duquel les soldats de l’empereur d’Allemagne avaient monté la garde, vivait toujours dans ce pays ; malgré les concessions religieuses faites aux utraquistes, ainsi nommés parce qu’ils communiaient sous les deux espèces, il était resté des terribles guerres hussites une violente haine nationale et religieuse contre tout ce qui portait un nom allemand. Le professeur, le marchand, l’ouvrier allemand, étaient détestés à l’égal du Juif. On réveillait avec une pieuse ferveur les vieux souvenirs tchèques ; on s’apitoyait sur le sort des Slaves de Misnie, de Brandebourg et de Prusse, autrefois exterminés par les Germains, et c’était le vœu de tout bon patriote que « le royaume d’or, le royaume très chrétien fût à jamais purifié de cette vermine qui menaçait de le remplir. » Pourtant, quand l’Allemagne, à son tour, eut produit son réformateur, la plupart des Allemands qui étaient demeurés en Bohême s’étant convertis au luthéranisme, et la doctrine nouvelle ayant en même temps fait de grands progrès parmi les Tchèques, la communauté de croyance semblait devoir apaiser l’antipathie de race. Si quelque fatalité n’avait voué les Habsbourg au sort d’instrument de la réaction catholique, ils pouvaient, pour le plus grand profit de l’Allemagne, opérer la réconciliation, mais ils ne s’inspirèrent que de leur haine contre la réforme. Ils essayèrent de rapprocher les utraquistes des catholiques, et pour cela se mirent à flatter le patriotisme tchèque : l’empereur Matthias rendit en 1615 l’édit fameux qui proscrivait à la fois la langue allemande et le luthéranisme en Bohême. Cet acte inouï de la part d’un empereur allemand ne profita point à celui qui l’avait signé ; le luthéranisme avait eu le temps de faire des progrès énormes parmi les Tchèques, et, quand la persécution commença, elle fit autant de victimes parmi eux que parmi les Allemands.

Il n’est point de notre sujet d’exposer ici le martyrologe de la