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début ; l’intolérance religieuse allait, une fois encore, gagner à la Prusse de nombreux enfans.

L’évêché de Salzbourg était une des plus anciennes et des plus illustres principautés de l’Allemagne ; il comptait 200,000 habitans, parmi lesquels la réforme s’était glissée en dépit des princes-évêques et de la persécution. Deux prélats tolérans s’étant succédé à la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle, le nombre des dissidens s’accrut encore pendant cette trêve, et le baron Léopold de Firmian montra, dès son avènement au trône épiscopal, l’inquiétude et le mécontentement qu’il en ressentait. Après beaucoup de mesures maladroites, de missions manquées, de pèlerinages sans succès et de menaces inutiles, l’évêque, réprimandé d’un côté par les puissances réformées, appuyé de l’autre par l’empereur Charles VI, eut recours à la force ouverte, qui ne réussit pas mieux que le reste. Invoquant alors l’article de la paix de Westphalie, il ordonna aux non-catholiques de s’exiler, mais sans leur laisser les délais fixés par les traités ; il retira un moment sa décision, puis il y revint : bref, il s’aperçut trop tard qu’il avait commis une faute énorme, quand 30,000 de ses sujets, et des meilleurs, eurent, après avoir subi les plus mauvais traitemens, passé la frontière.

Il y avait longtemps que le roi Frédéric-Guillaume était aux écoutes ; un des premiers, il avait protesté contre la persécution. Les écrivains catholiques assurent qu’il envoya des émissaires dans l’évêché pour y fomenter le mécontentement : rien n’est plus vraisemblable, mais peut-être la réputation d’une terre d’asile qu’avait value à la Prusse, depuis plus d’un siècle, la conduite de ses princes, suffit-elle pour expliquer que les Salzbourgeois se soient adressés à Frédéric-Guillaume. En 1731, le roi reçoit deux de leurs envoyés ; il leur promet que, quand même plusieurs milliers de leurs compatriotes voudraient venir se réfugier dans son pays, il les recevrait tous « par grâce, par amour et par charité ! » Bientôt il appelle les exilés par des manifestes publics, et il envoie à Regensbourg un agent chargé de les conseiller et de les guider. Alors la plupart de ces malheureux se mettent en marche vers la Prusse. L’un d’eux a laissé un long récit de leur odyssée, tout plein de la tristesse de l’exilé, de la ferveur du chrétien, de la reconnaissance du persécuté pour l’accueil que l’on fait en route à cette portion du peuple de Dieu qui cherche la terre promise, pour ces processions qui viennent au-devant des voyageurs, pour ces harangues en style biblique dont on les salue, pour ces belles entrées dans les villes, aux acclamations du peuple et au chant des psaumes, qui font ressembler leur fuite à un triomphe. On voit dans ce récit que plusieurs princes essayèrent d’arrêter et