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leur adressait en justice : ils n’y consentirent pas. Il leur ordonna de s’exiler, ils demeurèrent : alors la persécution commença. Au même temps, Berne édictait contre les mennonites le bannissement, la marque, les galères, la mort. A la fin, Frédéric Ier intervint comme protecteur de ces persécutés. Il se trouva en concurrence avec les états-généraux de Hollande, qui offraient aussi un asile aux mennonites. Les deux puissances se surveillèrent l’une l’autre, car chacune d’elles aurait volontiers pris à sa charge les colons riches et remis les pauvres à la charité de l’autre. A la fin, les mennonites arrivèrent dans la Prusse orientale, où on leur permit d’honorer Dieu comme ils voulaient, sans crainte des recruteurs royaux. On ne sait pas au juste combien ils étaient, mais il est certain qu’ils n’étaient pas nombreux, et que leur arrivée ne changea guère l’état des choses dans la malheureuse province. Frédéric Ier n’avait point dans la volonté assez de suite ni d’énergie pour remédier aux maux dont souffrait la Prusse. Quand il mourut, la désolation y régnait toujours ; d’immenses espaces demeuraient incultes, la végétation sauvage croissait à l’aise dans les vastes cimetières qui s’étendaient à perte de vue partout où avait sévi le fléau, et de grands bois, qui sont encore debout aujourd’hui, s’y formèrent, enlaçant dans leurs racines les ossemens de tous ces trépassés.


III

On vit bien, dès le jour du couronnement de Frédéric-Guillaume Ier, que le nouveau prince entendait régner tout autrement que n’avait fait le défunt. Au lieu de dépenser pour cette cérémonie 6 millions de thalers comme Frédéric Ier, Frédéric-Guillaume y employa 2,547 thalers 9 pfennigs, et il est probable qu’il trouva que cela était bien cher. La cour de Prusse fut tout de suite transformée. Plus de beaux habits : le roi n’en porte point et ne les tolère pas autour de lui. La mode qu’il aime, c’est le vêtement court et l’épée longue. Il ne se complaît pas, comme Frédéric, dans l’admiration de sa dignité royale, mais quel roi fut jamais plus pénétré du sentiment de ses devoirs ? Il ne néglige aucun détail et veut tout voir par lui-même. Ses promenades sont des inspections ; sa canne, dans les rues de Berlin, s’abat sur le dos des oisifs. Il a des tendresses à sa façon pour les travailleurs ; par exemple, il s’intéresse personnellement aux paysannes, qu’il admet à Königshort dans « l’école pour la fabrication du beurre, » fondée par lui ; si elles ont été laborieuses et dociles pendant les deux années d’apprentissage gratuit qu’elles ont faites, et qu’il les trouve aptes à