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Beheim-Schwarzbach, qui vient de publier, après avoir compulsé dans les archives de Prusse nombre de documens inédits, un excellent livre sur les Colonisations des Hohenzollern, fait justice des préjugés du patriote Kônig, et l’on sent, en lisant l’énumération raisonnée qu’il fait des services rendus par nos compatriotes à l’état du grand-électeur, une sorte de fierté mêlée de regrets et de tristesse.


II

L’électeur Frédéric III, qui changea dans la suite son titre contre celui de roi, et qu’on appela dès lors Frédéric Ier, ne ressemblait guère à son glorieux prédécesseur : c’est, pour la médiocrité de l’esprit, Louis XIII succédant à Henri IV. Encore Louis XIII connaissait-il sa médiocrité, tandis que Frédéric Ier ne soupçonna pas la sienne, et qu’il la rendit tout ensemble plus visible et plus ridicule en la parant de toutes les pompes d’une fausse grandeur. C’est un véritable parvenu. Jamais officier de fortune n’a considéré ses premiers galons avec autant de joie que cet électeur sa couronne d’or : il est tout entier au plaisir de la sentir sur sa tête ; il la fait rayonner dans des fêtes comme Berlin et Kœnigsberg n’en avaient jamais vu. C’est l’enfant prodigue d’une famille avare. Pourtant il n’a pas oublié toutes les traditions de la maison paternelle : il y a dans ce pays de Prusse de si dures nécessités qu’il s’y faut soumettre malgré qu’on en ait ; si dépensier que l’on soit, il faut y tenir son livre de comptes, et comment tenir un livre de comptes sans songer à augmenter les recettes ? Aussi le règne de Frédéric Ier fut, en de certains points, la continuation, médiocre il est vrai, du règne du grand-électeur.

Frédéric Ier avait cependant des qualités, de la bonté, une générosité sincère, bien qu’il eût trop soin de la publier. Il fit ce que n’aurait peut-être pas fait son prédécesseur, ce que n’aurait pas fait assurément son successeur : il laissa partir des colons que la nostalgie tourmentait, et même il s’employa pour les rapatrier. Frédéric-Guillaume, peu de temps avant de mourir, avait donné des ordres pour que la ville de Stendal, qui n’avait pas encore relevé ses ruines, reçût une colonie de Vaudois. Il avait pris sous sa protection ce malheureux petit peuple, ancêtre des réformateurs et des persécutés, et il avait écrit en leur faveur au duc de Savoie Charles-Emmanuel et au roi Louis XIV des lettres qui l’honorent. Il les avait un instant préservés des fureurs d’une croisade et de la sollicitude d’une « congrégation pour la propagation de la foi, » dont les membres, hommes et femmes, s’étaient donné la pieuse mission de convertir à prix d’argent les pauvres montagnards ; mais, après que l’édit de Nantes eut été révoqué, l’exemple donné par le