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avec les traditions de savoir-faire qu’elle leur doit, peut trouver un mari moins gueux que le docteur Andor. Avec des larmes et des sermens de constance éternelle, les deux amans se séparent. Hanna promet d’écrire tous les jours, et en effet chaque soir elle écrit une lettre ardente, passionnée, trempée de pleurs, ce qui ne l’empêche pas chaque matin de travailler consciencieusement à la conquête du père de son élève, certain général veuf, grondeur et terrible, mais qu’elle sait rendre doux comme un agneau par des manèges renouvelés de Meta Holdenis, l’héroïne si vivante de M. Cherbuliez. En apprenant au pauvre professeur qu’elle ne peut être à lui, Hanna prétend, infidèle ainsi à deux personnes, l’adorer autant que jamais. Ces jeunes Allemandes de la nouvelle école sont des créatures très compliquées. — Je ne sais ce que vous éprouviez pour moi, répond Andor, mais à coup sûr ce n’était pas de l’amour. — Le mépris l’aide à guérir ; il trouve aussi les consolations de l’amitié chez le comte de Riva. Ce millionnaire déguenillé n’est pas un misanthrope comme le ferait croire son genre de vie ; après avoir beaucoup souffert, il est arrivé à la résignation par l’oubli absolu de soi. Toutes ses richesses sont distribuées aux pauvres, il a des trésors d’intelligente et délicate charité au service des affligés. Pensant avec raison qu’un travail absorbant et un but élevé peuvent seuls distraire de ses chagrins personnels un homme de cœur, il met Andor en relations avec un certain Wiepert, le modèle des rédacteurs de journaux intègres et désintéressés, qui fait une guerre à mort aux vices de son époque dans une feuille prisée par les honnêtes gens, la Réforme. — Andor s’attache à cette croisade de l’idéalisme, et devient journaliste comme on devient missionnaire. Les sujets de juste censure et de sainte colère manquent moins que jamais tant à la cour qu’à la ville. Le vieux roi est mort, son fils lui a succédé, la princesse Paula, devenue reine, cache ses désordres sous le masque de la dévotion. Partout les mauvaises mœurs comme les statues s’affublent de cette hypocrite feuille de figuier qu’a frondée Henri Heine. D’autre part la fièvre de la spéculation est arrivée à son apogée : les concessions de terres et de chemins de fer sont le prétexte des plus honteux marchés, les gros banquiers, les grands seigneurs, les officiers supérieurs eux-mêmes, s’exposent sans scrupule à la vindicte des tribunaux ; la simonie et la concussion s’étalent chaque jour de plus en plus effrontément, l’exemple vient d’en haut ; tout est à vendre.

L’actrice-courtisane, Valéria, est amenée par un de ses nombreux protecteurs, le vieux Juif Rosenzweig, dans ce centre corrompu où elle s’épanouit comme dans son élément naturel ; c’est bien en effet le fumier qui convient à cette fleur vénéneuse. L’enthousiasme