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préposèrent une divinité à chaque planète, Astarté devint la déesse de Vénus à son lever, Baalath celle de Vénus à son coucher. « L’étoile de Vénus au soleil levant ; dit un syllabaire assyrien, c’est Istar parmi les dieux ; l’étoile de Vénus au soleil couchant est Bilit parmi les dieux. »

Les « hauts-lieux » d’Aschera, les cavernes d’Astarté où avaient lieu les prostitutions sacrées, se voient encore à Sarba, à Sayyidet-el-Mantara, à Moghâret-el-Magdoura, aux grottes de la Casmie et d’Adloun, à Belat. Sur la hauteur de Belat gisent les ruines pittoresques d’un temple dédié à quelque Baalath, peut-être à cette déesse céleste dont M. Renan a lu le nom sur un précieux monument, ou à la déesse de Syrie assise sur un siège orné de deux lions. Quoi qu’il en soit, le sanctuaire de cette « Notre-Dame » est le plus bel exemple de « haut-lieu » cananéen. Le petit bois de laurier fleurit encore : c’est à l’ombre de ces arbres verts que les prêtresses de la bonne déesse dressaient leurs tentes peintes. Près de Djouni, au village de Sarba, qui est sûrement une ancienne localité cananéenne, existe une « grotte de Saint-George, » sorte de salle au niveau de la mer, où les femmes viennent se baigner dans l’espoir de devenir mères. Le rituel veut qu’avant de s’éloigner elles offrent une pièce de monnaie à saint George. On peut y voir, avec M. Renan, un reste des anciens tarifs phéniciens pour les sacrifices, ainsi qu’un souvenir éloigné du rachat de la prostitution sacrée. « Je ne doute pas, écrit ce savant, que la grotte de Saint-George n’ait abrité les rites que nous savons avoir été pratiqués à Babylone, à Byblos, à Aphaca, et qui venaient d’une idée répandue chez certaines races de la haute antiquité, idée d’après laquelle la prostitution à l’étranger, loin d’être honteuse, était considérée comme un acte religieux. Des traces de cette idée se retrouvent encore en certains pays orientaux et en Algérie. » A Sayyidet-el-Mantara, « Notre-Dame de la Garde, » est une chapelle de la Vierge qui fut à l’origine une grotte cananéenne d’Astarté. La « Caverne de la possédée, » Moghâret-el-Magdoura, au village de Magdousché, présente sur la paroi de gauche une hideuse figure de femme sculptée. La plus authentique de ces cavernes à prostitution se trouve près de la Casmie : on voit à l’intérieur des sortes de sièges et une niche pour la statue de la déesse ; à l’entrée, qu’une porte fermait, on distingue nettement, comme au temps d’Hérodote, ainsi qu’à Byblos, à El-Biadh, à Adloun, le naïf symbole du sein divin d’où sont sortis les hommes et les dieux.


JULES SOURY.