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arasemens de constructions antiques s’appellent, dit-on, Elioun ; vis-à-vis de Maschnaka ou Ouadi-Fedar est aussi un Kefr-Baab. Le fleuve enfin demeure le plus vivant témoin des saints mystères de la montagne. Le sang du dieu mourant rougit encore les eaux du Nahr-Ibrahim. « De la hauteur d’Amschit, rapporte M. Renan, au commencement de février, je vis se produire le phénomène du sang d’Adonis. À la suite de pluies très fortes et subites, tous les torrens versaient dans la mer des flots d’eau rougeâtre. » Un phénomène analogue a lieu en septembre ou dans les premiers jours d’octobre aux puits du Ras-el-Aïn, près de Tyr ; la grande fête que célèbrent alors les habitans est un curieux vestige des adonies.

C’est sur la stèle du roi de Gebal qu’on a rencontré pour la première fois le nom authentique de l’amante d’Adonis, la grande déesse de Byblos, Baalath. On savait que c’était la forme féminine de Baal. La Baalath Gebal était l’épouse du dieu de la cité sainte, Adonis ou Tammouz, un des frères divins du Baal Tsour, du Baal Tsidon, du Baal Tars et de tant d’autres Baalim que les Hébreux et les Cananéens adoraient sur les collines et sous les arbres verts. À Byblos, le couple divin était Adonis et Baalath, comme Baal Tsidon et Astarté à Sidon, Elioun et Berouth à Arka. Le Baal de Byblos avait sa Baalath ainsi que le dieu El la déesse Elath ; M. Waddington a retrouvé en Syrie les inscriptions et les monumens de cette déesse lunaire, dont la présence dans la composition des noms propres étudiés par M. de Vogué à Palmyre, dans le Haouran et la Nabatène, atteste l’étendue du culte. Rien n’est mieux prouvé que l’existence de déesses sémitiques. Le nom même de « déesse » est dans les langues de cette race très régulièrement dérivé du mot dieu. Aussi bien il y a longtemps que, dans le premier vers punique du Pœnulus de Plaute, les déesses figurent à côté des dieux, alonim valonouth, « les dieux et les déesses. » Il reste toutefois à déterminer leur nature propre, leur rapport aux divinités mâles dont elles sont les parèdres. Sous l’influence de préjugés théologiques peut-être inconsciens, des érudits de peu de philosophie n’ont point manqué de voir en elles des « hypostases féminines du dieu primordial, » si bien que dans tout couple divin d’un Baal et d’une Baalath, comme celui de Byblos, ils croient avoir découvert on ne sait quel « reflet de l’unité divine primitive. »

Ce langage métaphysique, à propos des conceptions de la race la moins douée pour la philosophie qui ait jamais existé, paraîtra déjà peu heureux aux esprits les moins prévenus. La vieille thèse d’un monothéisme primordial, succédanée de celle d’une révélation primitive, compte encore, nous ne l’ignorons pas, d’illustres partisans. Si elle était fondée, sur la vérité, c’est-à-dire sur des faits, sur